Prendre appui sur les mots,

30 coups de bâton.

Prendre appui sur la méditation,

30 coups de bâton.

Prendre appui sur le vide, 

10 000 coups de bâton.

Nul besoin de mourir,

et de renaître,

pour vivre plusieurs vies,

plusieurs karmas.

Une seule existence suffit,

pour revivre à l'infini,

nos existences passées.

*

Né berserker,

j'ai tenté d'exorciser ma Colère,

que je prenais pour Dragon,

dans la confusion,

de mon cœur d'enfant,

en devenant tour à tour,

jusqu'à ma majorité,

philosophe,

théologien,

et mystique.

J'ai ouvert ces portes,

parmi les 84 000,

que dit-on,

le Dharma possède,

sans grand succès,

pour moi je le confesse.

*

Alchimiste,

j'ai passé moult années,

en études supérieures,

à la recherche de la Pierre,

de l'élixir d'immortalité,

usant mes yeux,

sur des grimoires anciens,

empoisonnant mon souffle,

dans les émanations toxiques,

du mercure et du plomb.

Cette porte était bien hermétique !

A cette époque du moins.

*

Croisé,

j'ai parcouru maints contrées,

mené bien des missions,

en tant que cadre corporate,

dans un grand groupe pétrolier,

puis manager dans le Conseil,

pour deux grands cabinets Big 5,

à dos de Dragon,

brandissant ma Colère,

comme Excalibur,

à la recherche du Graal.

*

Magicien,

je rêvais d'un autre monde,

fasciné par le karma,

le mien,

 et celui des autres.

J'ai cru être assez fort,

pour le manipuler,

en étudiant les arts occultes,

puis la psychologie,

cette magie moderne,

abusant du Flow,

en entrant dans la Zone,

mais même désintéressé,

je suis tombé du côté obscur,

car nul ne peut défier la causalité,

sans y perdre son âme,

mais la Réalité m'a pardonné,

et j'ai été sauvé.

*

Las de ma vie d'errance,

j'ai voulu rentrer dans le rang,

épousant une femme,

que je rêvais ordinaire,

pour mener une vie,

qui devait l'être tout autant,

et j'ai tenu 12 ans,

j'ai même eu des enfants,

pour espérer être un père,

mais mal m'en a pris,

car j'étais maudit,

condamné à errer sans fin.

Mon ex était bien ordinaire,

comme sa folie.

*

Samouraï,

d'innombrables fois,

ai-je été tué,

dans mes différents postes,

en système d'information,

organisation et transformation,

par la recherche d'une pureté,

à l'esthétique morbide,

pour affûter mon katana,

dans l'art de se tuer,

encore et encore,

sans jamais y parvenir,

du moins totalement.

*

J'ai passé plus de 10 ans,

à mener une vie dissolue,

croyant pouvoir réaliser,

dans le plaisir,

ce que je n'avais pu faire,

dans la vertu,

mais mal m'en a pris,

car j'étais maudit,

condamné à errer sans fin.

Je n'avais rien d'ordinaire,

pas même ma folie.

*

J'ai lu les maîtres du Tao,

Laozi et Zhuangzi,

et j'ai cru voir la Voie,

car c'était vraiment Vide,

bien qu'il y ait Dragon,

sur le Mont Meru,

que faisait-il donc là ?

Encore une porte,

mais pas la mienne,

pas tout à fait encore.

*

À 40 ans,

Dragon a tatoué,

sur mon torse,

le Chemin indiqué,

pour que chaque matin,

et que chaque soir,

je ne puisse l'oublier :

un dragon,

aux 4 couleurs de l'alchimie,

encerclait dans un 8 infini :

en haut,

nqm

en bas.

Des formules tout autour indiquaient :

VISITA INTERIORA TERRAE,

RECTIFICANDO OCCULTUM LAPIDEM,

INVENIES TE IPSUM,

ECCE HOMO.

La tête du dragon, 

entre Charybde et Scylla,

s'extirpait de son 8 infini,

et crachait en lettres de feu,

אָדָם,

tout près du cœur.

Tout cela est bien compliqué,

quand on y pense !

Mais qu'en faire ?

Si ce n'est rien précisément,

mais pas rien faire.

*

Chevalier errant,

puis simple ronin,

en statut freelance,

j'ai continué la lutte,

jusqu'à l'absurde,

sans plus de monture,

l'armure disloquée,

l'épée ébréchée,

dans un monde,

aujourd'hui pour moi,

sans magie,

et sans Dieu.

*

J'ai repris femme et enfants,

une partie des miens,

et tous les siens.

Avec l'amour inconditionnelle,

de ma vraie moitié,

la malédiction a été levée,

mais avait-elle jamais existée,

car qui donc m'avait maudit ?

Je connais désormais,

grâce à eux,

les joies et les peines,

d'être un mari, un père,

goûtant enfin les fruits,

d'une Terre,

que je croyais bien ordinaire.

Si Dieu existe,

il est Amour,

ça,

je veux bien y croire.

*

Wǔxiá d'une époque révolue,

mon épée s'est enfin brisée,

et la Force m'a quitté,

comme ma Colère,

qui était NaQaM,

et non pas Dragon,

comme je l'ai compris,

après mille combats,

et 30 années,

de vie professionnelle,

contre tigres et dragons.

L'armure de Berserk,

adossée au mur,

me regarde, placide,

dans un coin du salon.

*

J'ai pratiqué le Zen,

pas comme il faut,

fixant ce doigt,

qui soi-disant,

pointait la lune,

polissant la tuile,

tuant Bouddha,

les jambes croisées,

le dos bien droit,

la langue contre le palais,

comme un arbre desséché,

me lapidant moi-même,

Ego,

à coups de pierres,

comme à un chien galeux,

face à un mur.

*

Et finalement,

j'ai rencontré le Chan,

le seul, l'unique,

le sans contrefaçon,

avec Houei-neng,

 et le Hong-tcheou,

Mazu, Houang-po, Lin-Tsi,

puis à rebours,

Nieou-t'eou Fa-jong,

et ensuite,

dans les volutes de l'encens,

la lumière d'une bougie,

le son d'un bol tibétain,

le goût du thé,

la danse des bambous.

*

Et soudainement,

par une silencieuse coïncidence,

dans tous les phénomènes,

de la réalité,

encore illusoire,

je peux le jurer,

il y a 5 minutes encore.

C'est comme si,

l'univers,

tout entier bascula,

et s'ouvrit.

*

J'ai pris la porte,

la numéro 47 892,

pour être précis.

Et je l'ai franchie,

un quatre matin,

je m'en souviens,

trop bien !

*

J'ai enfin compris,

le Zen,

l'authentique zazen,

sa véritable assise,

sans posture,

ni imposture,

à la source de l'être,

sans dogme,

sans institution.

*

J'ai enfin compris,

toutes les portes,

 du Dharma :

Religion,

 Magie,

Tradition,

Mystique,

Philosophie,

Psychologie,

Alchimie,

Tao,

et la moins évidente,

d'entre toutes :

la vie ordinaire.

Tant de voies finalement,

plus pour s'y perdre,

que pour s'y trouver,

alors que,

 devant nous,

derrière nous,

à côté de nous,

en nous,

nous,

EST

*

Dragon,

Draco,

antiquus programma,

comme il me l'appris,

vient prendre la suite,

reprenant mon karma,

pour me laisser partir,

moi le Bouddha-pour-soi,

lui le Bodhisattva,

vieux de deux millénaires,

voyageur entre deux continents,

de l'Orient à l'Occident,

dans le bruit de la ville,

l'odeur des rues,

la vue du gens,

la danse des pensées,

et le goût de la vie.

*

Je suis INDIVIDUUM,

moi Ego, chien fidèle,

où que j'aille,

quoi que je fasse,

qui que je sois,

assis, debout,

ou en marchant,

endormi ou éveillé.

*

Que je meurs,

que je renaisse,

que j'existe ou pas,

que j'ai la nature de bouddha,

peu me chaut dorénavant,

car par delà le Chan,

par delà le Zen,

par delà toute dualité,

nulle question et nulle porte,

ne furent jamais posées.

*

Il n'y a pas de maître à chercher,

ni de transmission à espérer,

pas d'Anciens à vénérer,

aucun enseignement sur quoi reposer,

pas de buffle à dresser,

ni coup de bâton à donner,

pas de koan à balancer,

pas d'écrits à encenser,

ni de soutra à préserver,

pas de religion pour s'agripper,

ou de Tradition pour se rattraper,

pas d'alchimie pour se vanter,

ni de magie pour se vautrer,

pas d'Histoire à mythonner,

ou de science pour rassurer,

nulle Grâce à escompter,

aucun Dieu(x) à adorer,

ni Démon(s) à sanctifier,

pas d'hérétique à faire brûler,

ou de saint à qui se vouer,

aucun symbole à graver,

ni tatouage à montrer,

pas d'armure à endosser,

ou d'épée à dégainer,

ni Vérité à exhumer, 

aucun secret à dévoiler,

aucune image à contempler,

aucune relique à toucher,

aucun encens à renifler,

aucune bougie à allumer,

aucun silence à écouter,

aucun son à interpréter,

aucun mot à énoncer,

aucun nom à donner,

aucune pensée à discriminer,

aucune prière à adresser,

aucune philosophie à discuter,

aucun site web à dénicher,

pas de vêtement pour se déguiser,

ni même de crâne à qui raser,

il n'y a rien à enfiler,

ni pour se défiler,

pas même avec le Néant,

ni Vide pour se pâmer,

pas de masque à supporter,

ni de Persona à exhiber,

ni maladie pour se conforter,

ou de vieillesse pour se consoler,

pas de sagesse à faire miroiter,

ni folie pour se marrer,

il n'y a personne à tromper,

ni soi-même à ignorer,

il n'y a pas de Mal à éradiquer,

ni de Bien à promulguer,

pas de vertu à étaler,

ou de péché à confesser,

Il n'y a rien à dissimuler,

ni rien à simuler,

il n'y a personne à aimer,

ou bien à détester,

ni psychologie pour s'individuer,

pas plus pour se soigner,

pas de prison pour se cacher,

ni de liberté pour s'enfermer,

aucune souffrance pour exister,

ou de plaisir pour s'oublier,

pas d'eau pour se désaltérer,

ou d'alcool pour se saouler,

il n'y a rien à ingérer,

ni plus à digérer,

il n'y a personne à damner,

ni à condamner,

pas même soi-même,

il n'y a pas de vie pour inspirer, 

ni de mort pour expirer,

il n'y a pas de passé pour regretter,

ni de futur pour angoisser,

il n'y a pas de société à conspuer,

ni de solitude pour s'effrayer,

pas de famille pour se fâcher,

ni d'amis pour se leurrer,

ou d'ennemis pour guerroyer, 

Il n'y a pas de volonté à déployer,

ni développement personnel à payer,

de Pleine Conscience à maîtriser,

pas d'attention à acquérir,

 de détachement à conquérir,

il n'y a pas de fleur à faire tourner,

ni de sourire pour riposter,

pas de doigt à pointer,

car pas de lune à regarder,

pas de montagne à escalader,

pas même à imiter,

car pas d'homme véritable à singer,

tous les Immortels ont trépassé,

pas de salut dans la méditation,

ni dans aucun exercice de l'éveil,

pas même dans le saké.

*

Il n'y a pas de Graal,

ni de Pierre Philosophale, 

pas de jardin d'Eden,

ni de péché originel,

pas de Voie,

ni aucun Dharma,

ni visage originel,

ni Esprit, ni Bouddha,

aucune vacuité,

pas de perche de 100 pieds,

pas plus que d'éveil,

ni plus de Samsara,

ou de Nirvana,

ni de Terre pure à l'Ouest,

ou de Paradis en haut,

ni plus d'Enfer en bas,

aucun moyen habile.

*

Mais justement,

du fait même de tout cela,

il n'y a rien à rejeter,

ni à écarter,

ou à discriminer,

car il n'y a jamais eu de dualité,

pas même de causalité,

encore moins de synchronicité,

et ne parlons pas de destiné,

ni de fatalité,

car il n'y a pas de pilule à choisir,

on est pas là pour faire des choix,

ni pour les comprendre,

le problème n'est le choix,

il n'y a pas d'Architecte,

et on est pas dans la Matrice,

il n'y a ni simulacre ni simulation,

pas même une illusion,

ni même une sensation,

pas de désert du réel,

car personne nous a maudit,

aucun Dieu nous a chassé,

pas même nous-mêmes,

nous n'avons jamais quitté l'Eden,

quand bien même ça n'existe pas.

Nous ne sommes jamais partis,

pourquoi chercher à revenir ?

*

"N'essaie pas de tordre la cuillère,

c'est impossible.

Tu dois essayer de te concentrer

pour faire éclater la vérité :

la cuillère n'existe pas.

Et là tu sauras que

la seule chose qui se plie

ce n'est pas la cuillère,

c'est seulement ton esprit."
*

Il  n'y a pas besoin d'être,

ni de disparaître.

L'être n'est pas un sujet,

il n'a aucun intérêt,

c'est juste un quiproquo.

*

Rien n'a jamais été ajouté,

rien n'a jamais été retiré,

TOUT A TOUJOURS ETE LA !

*

Ce n'est pas nous,

qui nous libérons,

c'est la causalité,

 qui se libère de nous.

Et que dire de plus,

si ce n'est,

quelle merveille !

*

Visita Interiora Terrae,

Invenies Tuum Draco.

*

Et dans cet ultime aboiement,

cette dernière cabriole,

Ego s'en alla,

retrouver INDIVIDUUM,

abandonnant son panier,

délaissant sa pâtée,

son bol d'eau claire,

sa médaille toute chromée,

sa laisse et son collier,

tout en restant,

tout en mangeant,

tout en buvant,

tout en gardant,

sa médaille toute chromée,

sa laisse et son collier,

quand bien même,

Ego n'a jamais existé,

ni non existé,

 et ainsi pour tout,

aussi bien pour vous,

que pour INDIVIDUUM itou.

*

   *

*  

   *

*  

   *

*   

   *

*  

Noumène et Phénomène,

Intuition et Sensation,

Pensée et Émotion,

Éternité et Néant,

Non-Voie et Voie,

Esprit et Corps,

Vide et Forme,

Draco et Ego,

Cause et Effet,

Réalité et Illusion,

Eveil et Ignorance,

Quiétisme et Action,

Individuum et Diabolos,

tout émerge puis replonge,

indifférencié et impersistant,

comme les vagues de la mer,

dans l'océan de l'indéfinissable.

 Soyons l'instant, à tout instant,

vagabondant ainsi dans le réel,

bien qu'indifférent à l'idée même,

aussi bien qu'avec tous les mots,

vivant seulement l'inexprimable.

A bien tôt, à plus tard, tôt ou tard,

en vérité peu importe maintenant,

car de toute façon hors du temps.