Prendre appui sur les mots,
30 coups de bâton.
Prendre appui sur la méditation,
30 coups de bâton.
Prendre appui sur le vide,
10 000 coups de bâton.
05/12/2021
Cet article reprend des extraits du chapitre "Méditation" du livre "La voie du bambou" de Yen Chan.
Nous en arrivons enfin à LA grande pratique, le zuo chan, l'assise en position dite du "lotus", plantes des pieds tournés vers le ciel, les yeux mi-clos, les genoux plus bas que le bassin, le menton rentré, la tête repoussant le ciel, les mains dans le giron, la respiration dans le dan tian ... nous sentant maintenant en terrain connu (ou en terre-inconnue, prononciation quasi-identique). Pourtant la méditation n'est pas une mince affaire et écrire à son sujet mérite au bas mot trente coups de bâton.
Yi Duan :
La parole est blasphème, le silence est mensonge.
Au-delà de la parole et du silence, il y a une issue.
Le premier patriarche du chan chinois, Da Mo, a préconisé, tout le monde le sait, le bi guan comme expédient principal :
Toutes les causes externes cessent,
Plus aucune pesanteur mentale
L'esprit semblable à un mur
Le Tao peut alors être vu.
Depuis, chaque courant pratique "son" bi guan, la "contemplation du mur". A sa façon ... Les uns s'assoient devant un mur, les autres ferment les murs des paupières, d'autres encore se mettent en état de mur, certains s'apprêtent à traverser un mur ou à la gravir, les derniers tournent le dos au mur ou s'appuient dessus pour "piquer un roupillon". Voilà que Da Mo nous a plongés dans les ténèbres et que nous nous trouvons emmurés. Afin de ne pas méditer stupidement, nous aurions dû nous remémorer l'avertissement du Shang shu qui affirme : "Si vous n'étudiez pas, vous vous retrouverez le nez contre un mur".
Ma Zu Dao Yi :
Ma Zu passait toutes ses journées assis en dhyana (méditation assise). Son maître Huai Jang le remarqua et le questionna : "que cherches-tu assis comme cela ?"
- Mon souhait le plus cher est d'atteindre l'état de Bouddha.
Sur ce, le maître ramassa une brique qui traînait et se mit à la frotter énergiquement avec un morceau de pierre.
Ma Zu demanda : "Que cherchez-vous donc à faire là, maître ?"
- J'essaie de la rendre semblable à un miroir.
- Maître, il est impossible en la polissant de faire de cette brique un miroir.
- De même pour toi, Ma Zu. Rester assis comme tu le fais ne te rendra jamais semblable à un Bouddha.
- Comment dois-je m'y prendre alors ?
- Eh bien, c'est comme lorsqu'on conduit un chariot, s'il n'avance pas, fouettes-tu le chariot ou le buffle ?
[...] Maintenant la citation d'un maître d'autrefois :
Avec intrépidité laissez-vous aller jusqu'en bord de falaise et
précipitez-vous dans l'abîme avec détermination et courage.
Après être mort, vous revivrez. Telle est la vérité !
Il est donc possible de traduire, aussi bizarre que cela paraisse, bi guan par "contempler en état de précipice" ou encore "garder l'esprit vigilant comme à l'à-pic d'une falaise".
De toute façon, pour les sceptiques accrochés à "leur" bi guan authentique, précisons que si Da Mo avait voulu dire "contemplation du mur" il aurait de préférence dû l'écrire sous la forme guan bi. Certains utilisent même la forme mian bi pour préciser "méditation devant un mur" ou encore "être tourné face au mur". Une autre tentative de traduction pourrait être : contempler depuis les hauteurs, voir loin et avoir conscience de la modification de la vision qui en découle, ou pourquoi pas "abîme contemplatif" . Qu'y a-t-il d'autre en effet que chuter ? Oui, "chuter vers le haut", te est bi guan ! [...]
On voit à la lueur de ces torches que le zuo chan, le dhyana assis, est quelque chose de très vivant, et sans doute n'est-il pas assis du tout. Nous voulons dire qu'il est possible, après tout, d'être assis debout, debout assis, immobile ou en mouvement assis. Une assise psychique qui pourrait faire le lien avec ding (la concentration" et aussi avec jing (l'attention). Ding, jing, zuo chan, bi guan se complètent ainsi les uns les autres.