Prendre appui sur les mots,
30 coups de bâton.
Prendre appui sur la méditation,
30 coups de bâton.
Prendre appui sur le vide,
10 000 coups de bâton.
19/08/2021
Il ne fait nul doute pour tout lecteur averti que le récit de l'Odyssée, du nom de son unique héros Odysseus (Ulysse) qui lui a donné son nom, est un message crypté décrivant le parcours initiatique de quiconque se risquerait à la Réalisation de soi. Homère était en effet un initié des Ecoles à Mystères grecques.
"On suppute que l'initiation s'effectuait moins par l'absorption d'un savoir théorique que par des procédés très encadrés, parmi lesquels devaient figurer la concentration, la contemplation intensive d'images symboliques, les techniques respiratoires et la répétition d'actes rituels" (LE VOYAGE D'ULYSSE ET LA VOIE INITIATIQUE de Pascal Bancourt P17).
A noter que le processus complet de l'initiation comportait deux niveaux appelés les petits Mystères et les grands Mystères mais que le parcours d'Odysseus se limite au petits Mystères, "l'initiation royale", c'est à dire la Réalisation de soi et donc de l'Œuvre au Blanc de l'alchimie.
Odysseus signifie "le courroucé", "celui qui est en colère" ce qui est intéressant à noter quant à l'état d'Esprit nécessaire pour amorcer le processus d'individuation. Car il ne s'agit pas d'une colère ordinaire, mais de la colère transformatrice, archétype très puissant. On peut également y voir une référence à Némesis, déesse de la mythologie grecque mais aussi un concept : celui de la juste colère (des dieux).
Un autre point intéressant dans la personnalité d'Odysseus est sa qualité reconnue "de sage" mais également "de rusé", qui renvoie immédiatement au concept de la Métis grecque. Dans la tradition orphique, Métis est l'une des forces primordiales, à l'instar d'Éros aux côtés duquel elle trône. Platon fait d'elle la mère de Poros, qui désigne d'abord le passage, le chemin, puis l'expédient.
Tous les personnages et les créatures que va rencontrer Odysseus dans son périple sont des parties de lui-même car il s'agit d'un voyage intérieur dans la psyché de l'(in-)dividu ("Visita Interiora Terrae"). Ainsi Pénélope n'est autre que l'âme d'Odysseus, et les prétendants figurent les passions et les désirs qui mènent l'homme à sa ruine.
La flotte d'Odysseus, s'étant éloignée des rivages de Troie, pilla Ismaros, la cité des Cicones. Zeus, irrité, déclencha une tempêté qui écarta la flotille d'Odysseus de sa route retournant à Ithaque. Pendant 9 jours, ils furent emportés vers le grand large, dans une direction opposée à celle qu'ils voulaient prendre. Au bout du 10ème jour, Odysseus accosta au pays des Lotophages, les "mangeurs de lotos" qui leur donnèrent du lotos. Quiconque consommait de ce fruit "doux comme le miel" perdait tout souvenir et ne désirait plus que demeurer sur place dans l'oubli. Le message est que dès lors que l'(in-)divu s'engage sur le chemin de la Transcendance (Oeuvre au Blanc, la réalisation de soi), il va falloir lutter contre sa propre inertie qui va s'amplifier lors de la phase d'Intériorisation (Oeuvre au noir, le dépassement du moi, Solve) et donc au risque de tomber dans la dépression, faute de con-centration (Coagula).
Le Cyclope est une vision dramatisée des pulsions et des instincts élémentaires qui s'agitent chez l'homme. Pour Héraclite, ce géant brutal symbolise "le sauvage emportement de chacun de nous, celui qui dérobe le jugement". Chaque individu abrite dans sa caverne un cyclope dont il subit le joug. Polyphème est fils de Poseidon, le dieu de la mer qui personnifie la composante psychique de l'âme. L'existence du Cyclope résulte d'une coagulation dans l'être humain de l'énergie psychique polarisée sur l'attrait immature du soi pour soi. Son œil unique indique sa vision restreinte aux apparences extérieures. Les compagnons d'Odysseus, qui figurent des composantes de la personnalité humaine et dont six d'entre eux vont mourir dévorés dans la caverne par le Cyclope, symbolisent la perte d'une partie de la personnalité terrestre. Odysseus ne tue pas le Cyclope car l'objectif n'est pas de détruire cette composante animale de l'âme. En lui crevant l'œil, Odysseus aveugle l'existence sensible, la réalité illusoire. Mais celui qui ose s'affranchir de la réalité illusoire s'expose à la colère du dieu des mers, c'est à dire aux secousses brutales du milieu psychique et des forces qui l'agitent.
L'ile du dieu Eole
Après avoir échappé au Cyclope Odysseus arriva en vue d'une ile flottante enclose d'un mur de bronze, sur laquelle régnait Eole, le gardien des vents. Eole accueillit avec bienveillance Odysseus et ses équipages. Un mois durant il les convia à banqueter avec lui. Quand Odysseus émit le souhait de repartir pour Ithaque, Eole lui confia une outre de cuir dans laquelle il avait enfermé tous les vents contraires. Après neuf jours et neuf nuits de navigation, la flotte approcha d'Ithaque de si près qu'on pouvait voir des hommes allumer des feux sur le rivage, mais le sommeil s'apensantit sur Odysseus. Ses compagnons soupçonnèrent leur maître de leur cacher des richesses qu'Eole lui auraient offerte. Profitant de son sommeil, ils ouvrirent l'outre dans laquelle le dieu avaient confinés les vents. Ceux-ci s'échappèrent aussitôt et déchainèrent une tempête qui repoussa la flotte loin d'Ithaque. La tourmente ramena Odysseus et ses troupes vers Eole. Quand il apprit que leur retour était dû à l'ouverture de l'outre, il les regarda comme maudits par les dieux, les chassa, et refusa désormais de leur renouveler son assistance.
Eole est le maitre des vents, qu'il retient ou libère à son gré. Ce n'est pas le vent olympien que souffle l'esprit, mais les énergies mobiles dans l'atmosphère subtile, qui agitent l'espace entre le monde spirituel et les mondes psychiques et corporels. Ces forces vitales, censées être bienfaisantes, peuvent devenir néfastes quand elles se déchainent comme une tempête, en l'absence de tout contrôle. Quand la conscience s'élève au niveau que personnifie Eole, il lui appartient de garder une vigilance constante dans la maîtrise de ces forces. C'est en ce maintenant au niveau d'éveil requis - ce à quoi va échouer Odysseus - qu'elle pourra quitter le milieu psychique, instable comme la mer, pour devenir souveraine à l'état stabilisé que figure la terre d'Ithaque. Les compagnons d'Odysseus personnifient les composantes de la personnalité ordinaire, démunies face aux tentations et promptes à exploiter la moindre torpeur de la conscience. La dispersion mentale profite du relâchement de l'attention pour libérer les énergies que l'ascèse avait neutralisées en les confinant dans le fond de l'être humain. Ce sont des forces mentales et émotionnelles incontrôlées qui, se retournant contre l'homme, l'éloignent de l'objectif de sa quête.
Les Lestrygons
Après avoir quitté Eole, Odysseus et sa flotte arrivère à Télépyle, le pays des farouches Lestrygons, des géants anthropophages. Odysseus envoya trois de ses hommes voir qui habitait cette terre. A la fontaine de l'Ourse qui fournissait l'eau à la ville, ils rencontrèrent une géante, la fille du roi. La jeune fille leur indiqua la maison de son père Antiphatès. Ils tombèrent sur sa femme qui se hâta d'appeler son mari, qui aussitôt se saisit de l'un des trois visiteurs et le broya pour en faire son repas. Le roi rameuta les Lestrygons qui accoururent par milliers et projetèrent du haut des falaises des blocs rocheux qui fracassèrent les onze navires abrités dans le port. Puis ils harponnèrent les hommes d'Odysseus comme des poissons et les emportèrent pour les dévorer. Odysseus dont le navire mouillait à l'écart, tira son épée et trancha les cables de son vaisseau, qui fut le seul de sa flotte à échapper au désastre avec ses compagnons de nef.
Télépyle qui signife "Porte lointaine" indique un seuil entre deux états de conscience symboliquement assimilés au jour et à la nuit. A cet étape, Odysseus s'arrache au monde diurne, celui de la conscience terrestre, pour entrer dans le monde nocturne, celui de l'exploration intérieure,. Les Lestrygons sont les terribles gardiens du seuil. Leur monde est une projection non plus de la vie animale et instinctive, comme celui des Cyclopes, mais du monde terrestre et humain, dont Odysseus va devoir s'extraire. Dans l'anéantissement des compagnons d'Odysseus est symbolisé la suppression des composants de l'être humain qui ne peuvent accompagner la conscience dans la suite de son périple. On ne peut emprunter les "chemins de la nuit" qu'au prix d'une réduction drastique et brutale de soi-même, et d'un renoncement irréversible à ces extensions de sa personnalité terrestre. Une fois qu'Odysseus a franchi le seuil gardé par les Lestrygons, il pénètre dans un plan d'existence où dominent les puissances féminines.
Circé la magicienne
Le navire d'Odysseus cingla vers l'île d'Aiaié où vivait la déesse Circé, fille d'Hélios, dieu du soleil et de la lumière. Il envoya la moitié des ses hommes, soit vingt-deux hommes, sous la conduite d'Euryloque. Circé accueillit les arrivants et leur offrit à boire et à manger, après avoir versé dans leur coupe une drogue qui faisait perdre le souvenir. Dès que ses invités eurent bu ce breuvage, elle les toucha de sa baguette et les changea en porcs. Euryloque, qui soupçonnait une ruse, se tint à l'écart et parvint à s'échapper. Odysseus se dirigea vers la demeure de Circé mais en chemin il rencontra Hermès qui lui donna une herbe appelée moly qu'il n'aurait qu'à mélanger au breuvage que lui servirait Circé pour en neutraliser les effets. Circé, voyant approcher Odysseus, l'invita à boire une coupe dans laquelle elle avait versé le philtre magique. Dès qu'Odysseus eut fini de boire, elle le toucha de sa baguette, mais il déjoua ses sortilèges en tirant son épée. Circé se jeta à ses genoux et jura de ne jamais plus lui tendre de piège, et Odysseus devint son amant. Elle redonna leur forme humaine à ses compagnons en les rendant même plus beaux et plus jeunes qu'ils ne l'étaient auparavant. Ils demeurèrent une année à savourer à profusion des viandes et du vin au bout de laquelle Circé leur indiqua la route à suivre pour se rendre à l'entrée des enfers pour évoquer l'ombre du devin Tirésias, qui lui dirait comme éviter les dangers de la suite de son voyage.