« La Voie que l'on peut nommer n'est pas la Voie »

(Tao Te King)

Neurosciences

Expérience mystique et méditation : les corrélats neurobiologiques

22/04/2022

Expérience mystique et méditation : les corrélats neurobiologiques

Il convient tout d'abord de définir ce qu'on entend par " expérience mystique " et par " méditation ".

 

L'expérience mystique

 

L'expérience mystique a souvent une connotation religieuse mais peut aussi référer à des sentiments " d'union avec le cosmos " expérimentés par des athées. Elle est souvent décrite comme une " communion " (avec Dieu dans le cas des croyants ou avec l'univers dans le cas des athées) accompagnée d'une élévation intellectuelle et morale, ainsi que d'une impression de bien-être dans le moment présent, voire d'immortalité.

 

On dit aussi de l'expérience mystique qu'elle est :
- ineffable (elle défie toute description avec des mots);
- un état d'illumination (elle donne l'impression de voir plus clairement les choses et confère par la suite un sentiment d'autorité)
- transitoire (elle ne dure rarement plus qu'une demi-heure ou une heure)
- spontanée (même si l'on peut, par la pratique, augmenter les probabilités de son déclenchement, elle ne peut pas être vécue sur demande)

 

La méditation


De son côté, la méditation est un rituel par lequel on parvient à modifier son état de conscience en manipulant volontairement son attention de façon soutenue.
La méditation peut aussi être vue comme une démarche transformatrice à long terme où l'accumulation des années de pratique permet d'accéder de plus en plus aisément à des états de conscience de plus en plus modifiés.


Certains sceptiques ont avancé que la méditation ne pourrait en fait n'être rien de plus que de la somnolence. D'autres leur ont rétorqué que le profil de l'électroencéphalogrammes (EEG) du sommeil est différent de celui des personnes en méditation, même si de nombreux indices montrent que plusieurs personnes peuvent s'assoupir quelques instants lors d'une séance de méditation (jusqu'au tiers du temps de méditation, selon une étude). Connaissant les effets bénéfiques d'une sieste sur l'humeur, cela pourrait expliquer une partie du bien-être ressenti après une séance de méditation. Une interprétation possible de cette cohabitation est que les personnes qui méditent apprennent à se maintenir dans cette étroite fenêtre de transition entre l'éveil et le sommeil, et que des glissements vers le sommeil sont inévitables lors de cet apprentissage.

 

Quel est donc ce profil particulier de l'EEG durant la méditation ? Dans les années 1950, dès que l'on a pu déplacer les appareils d'enregistrement électroencéphalographiques dans les monastères, on a commencé à enregistrer l'activité cérébrale de personnes pratiquant la méditation depuis de nombreuses années. On a tout de suite observé la singulière abondance des rythmes alpha, ces oscillations de 8 à 12 Hertz associées à l'état relaxe d'éveil. De plus, ce rythme n'était pas perturbé par de la lumière ou du bruit comme il l'est chez les personnes qui ne pratiquent pas la méditation.


Dans une autre étude datant du milieu des années 1960, une cinquantaine de prêtres japonais et leurs disciples avec entre 1 et 20 ans de pratique de la méditation ont accepté que l'on enregistre leur activité cérébrale pendant qu'ils méditaient. Après l'apparition des rythmes alpha, on a pu observer un ralentissement de la fréquence des oscillations et une augmentation de leur amplitude jusqu'à obtenir des ondes thêta de 6-7 Hertz. De plus, cette étude démontrait que plus l'expérience de méditation était grande et la technique raffinée, plus l'importance des rythmes thêta dans les oscillations étaient importante.

 

Des expériences mystiques provoquées par la stimulation du cerveau


Dans les années 1980, Michael Persinger a commencé à stimuler avec de faibles champs électromagnétiques différentes parties du cerveau grâce à la stimulation magnétique transcrânienne (SMT) (voir capsule outil ci-bas). En stimulant le lobe temporal de centaines de sujets avec cette technique, il parvint à induire chez une majorité d'entre eux (près de 80% selon Persinger) le sentiment d'une présence ou d'une vérité universelle associée à un grand bien-être. En clair, la stimulation du lobe temporal provoquait des expériences mystiques.

 

En 2005, le psychologue suédois Pehr Granqvist a publié une critique des travaux de Persinger dans laquelle il affirme ne pas avoir été en mesure de reproduire ses résultats en utilisant une procédure de double aveuble (où l'expérimentateur en contact avec le sujet n'a aucune idée des résultats anticipés de l'expérience). Granqvist accusait en effet les protocoles de Persinger de pouvoir transmettre aux sujets des indices du type d'expérience subjective susceptible d'être vécu durant le protocole expérimental. Persinger a défendu ses résultats en arguant que plusieurs de ses protocoles étaient explicitement à double aveugle et que Granqvist n'avait pas répliqué avec exactitude certains paramètres de ses expériences, notamment en utilisant un temps d'exposition aux champs magnétiques trop faible.


Néanmoins, ce que les expériences de Persinger ont mis en évidence, c'est la propension des sujets à traduire les expériences subjectives rapportées dans un langage qui est propre à leur culture ou à leur religion, parlant tantôt de Dieu, tantôt de Bouddha, tantôt d'une " présence " ou d'une harmonie avec l'univers. Et comme le soulignait Persinger, ses sujets savaient pourtant qu'ils étaient dans un laboratoire de recherche quand ils expérimentaient ce sentiment d'harmonie ou d'unité. Imaginez ce qui peut ressentir quelqu'un dont le lobe temporal s'emballe ainsi tard dans la nuit, dans une église, une synagogue ou une mosquée, suggère Persinger. Pour lui, il est même fort probable que les figures les plus exaltées des grandes religions (Mahomet, Bouddha, Moïse, Paul sur le chemin de Damas, etc.) aient pu souffrir d'une forme d'épilepsie au lobe temporal.

 

Épilepsie et expérience mystique


C'est en 1975 que le neurologue Norman Geschwind a décrit pour la première fois cette forme rare d'épilepsie dont le foyer est situé dans le lobe temporal. Fait immédiatement remarquable, ces personnes épileptiques disaient être fréquemment l'objet d'expériences religieuses intenses ou encore d'avoir l'impression plus diffuse de faire un avec le cosmos. D'où l'hypothèse qu'une activité électrique intense dans le lobe temporal pourrait être à l'origine de ces expériences mystiques.


En 1998, le neurologue Vilayanur S. Ramachandran a demandé à plusieurs de ses patients souffrant d'épilepsie au lobe temporal d'écouter la lecture d'un mélange de mots religieux, sexuels et neutres pendant qu'il enregistrait la conductance électrique de leur peau liée à leur réponse émotive. Or chez ces patients, des mots religieux comme " Dieu " provoquaient des réponses émotionnelles inhabituellement fortes, indiquant que ces sujets pouvaient effectivement avoir une plus grande prédisposition au sentiment religieux.

 

Ramachandran suggère que le système limbique, situé juste sous les lobes temporaux et responsable en grande partie de nos réponses émotives, pourrait voir ses connexions avec les lobes temporaux renforcés par les crises d'épilepsie qui seraient alors en mesure de déclencher les émotions reliées aux expériences mystiques.

 

Ramachandran insiste cependant pour dire que cela ne signifie absolument pas qu'il y aurait une " aire spécifique à Dieu " dans le lobe temporal. Cela pourrait cependant vouloir dire, selon le neurologue, qu'il est possible que l'hyperactivité de certaines parties du lobe temporal, en renforçant par exemple la signification personnelle de telle ou telle expérience religieuse, puisse nous convaincre que cette expérience a changé notre vie, même s'il est encore difficile de le prouver clairement.


Une chose est sûre cependant, comme pour la plupart de nos comportements, il est beaucoup plus probable que ce soit l'activité coordonnée d'un grand nombre de régions cérébrales qui soit à l'origine de ces expériences mystiques, et pas seulement de l'hyperactivité d'un lobe cérébral en particulier. Et de fait, c'est ce que les expériences subséquentes tendent à montrer.

 

Le cerveau " en état de grâce " sous la loupe des scanners


Au lieu de chercher à induire artificiellement une extase religieuse, Eugene d'Aquili, puis son collègue Andrew Newberg, ont utilisé l'imagerie cérébrale (en particulier le SPECT, une technique proche du TEP, voir capsule outil ci-bas), pour identifier les régions cérébrales impliquées durant différentes pratiques religieuses traditionnelles.

 

Dans une étude publiée en 2001, ce sont des moines tibétains pratiquant la méditation bouddhiste, un rituel destiné à atteindre certains états spirituels dont " une unité avec l'univers ", qui ont accepté de méditer dans les scanners de d'Aquili et Newberg. Au moment d'atteindre le pic de leur transe méditative, l'étude rapporte que le cerveau des sujet montrait une augmentation d'activité dans le lobe préfrontal droit ainsi qu'une diminution d'activité dans une région du lobe pariétal.


Pour Newberg et d'Aquili, ce pattern d'activité est cohérent avec le caractère subjectif particulier de ce type de méditation. En effet, le lobe frontal est impliqué, entre autres choses, dans la planification et l'attention. L'augmentation de son activité pourrait donc refléter, d'une part, l'aspect volontaire de la démarche et, d'autre part, la nécessité, dans la méditation bouddhiste, de se concentrer intensément sur une pensée ou un objet.

 

Quant au lobe pariétal, l'une de ses fonctions importantes est de permettre à l'individu de s'orienter dans l'espace, d'évaluer les distances et les positions relatives, bref de nous permettre de nous situer et d'évoluer dans l'espace. Son silence anormal lors de la méditation serait donc en accord avec le sentiment de dissolution du " moi " et d'unité avec le reste de l'univers rapporté par les sujets. Enfin, l'augmentation d'activité observée dans le système limbique, fortement lié aux émotions, contribuerait au sentiment de bien-être associé à ce sentiment d'unité cosmique.
 
En 2002, Richard Davidson et son équipe ont publié des résultats similaires en scannant le cerveau de plusieurs centaines d'adeptes de la méditation bouddhiste à travers le monde. Utilisant pour leur part la technique d'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf, voir capsule imagerie ci-bas), l'étude de Davidson a aussi démontré une baisse marquée d'activité dans les lobes pariétaux. L'activation du cortex préfrontal était aussi présente, mais davantage du côté gauche dans le cas de cette étude. Les volontaires les plus expérimentés avaient aussi une activation préfrontale moindre, possiblement parce que la tâche devient plus facile avec la pratique. Davidson rappelle d'ailleurs ici l'expression de " concentration sans effort " utilisée par les moines aguerris pour décrire l'état atteint lorsqu'ils méditent.

 

Dans une autre série d'expériences menées cette fois avec la technique de l'électroencéphalogramme (EEG), Davidson et son équipe ont observé que les moines bouddhistes expérimentés produisaient des rythmes gamma (autour de 40 Hertz) en méditant qui étaient près de 30 fois plus importants que ce que montrait l'EEG d'étudiant non expérimenté en train de méditer. Fait intéressant : les moines avaient considérablement plus de rythmes gamma dans leur activité cérébrale que le groupe contrôle d'étudiants avant même d'entrer en méditation.


Ce qui fait dire à Davidson et à plusieurs autres ce que ceux qui pratiquent la méditation bouddhiste affirment depuis des siècles : la discipline de la pratique méditative assidue peut changer le fonctionnement de la pensée et du cerveau. Davidson fait même l'hypothèse que la méditation ou d'autres formes d'entraînement mental pourrait peut-être même renforcer certaines émotions positives comme la compassion par exemple. L'observation que les régions frontales, si actives durant la méditation dite " de compassion " des bouddhistes, semblent renforcer leurs liens avec les régions plus émotionnelles du système limbique va en ce sens.

 

De plus, des travaux antérieurs de Richard Davidson avaient montré qu'une plus grande activité dans le lobe préfrontal gauche que dans le droit correspondait à une autoévaluation de son bonheur personnel plus élevée. Or cette différence d'activité en faveur du lobe préfrontal gauche s'observait chez les moines méditants mais pas chez les étudiants du groupe contrôle, indiquant peut-être une propension à un état de bien-être qui pourrait s'acquérir par la pratique de la méditation.

 

C'est en tout cas un élément de plus qui pointe vers la grande neuroplasticité du cerveau humain adulte, autrement dit la possibilité non seulement pour des actions mais également pour des pensées conscientes de modifier le câblage neuronale du cerveau. Et si l'on n'en connaît pas encore les mécanismes, on a de nombreuses évidences à l'effet que la méditation et la prière peuvent avoir des effets positifs sur la santé, diminuant la pression sanguine et le rythme cardiaque, réduisant l'anxiété et les risques de dépression, améliorant l'attention, stimulant le système immunitaire et augmentant même l'épaisseur de la matière grise du cerveau.

 

Davidson publiait par exemple en 2003 un article démontrant qu'un programme d'entraînement intensif de huit semaines à la méditation "pleine conscience" (mindfulness, en anglais) amplifiait l'activation électrique du lobe frontal gauche du cerveau, phénomène traduisant un état affectif positif. Et parallèlement à cette activation, on observait en même temps une production supérieure d'anticorps suite à l'injection d'un vaccin contre la grippe chez les sujets méditants par rapport aux témoins. Qui plus est, l'ampleur de l'accroissement de l'activation cérébrale était proportionnelle à l'importance de la réponse immunitaire.

 

Quant à l'augmentation de l'épaisseur corticale dans certaines régions du cerveau suite à la méditation assidue, c'est dans une étude de Sara Lazar publiée en 2005 qu'on en trouve les premières observations. On y rapporte une augmentation d'environ 5 % de l'épaisseur de la matière grise dans cinq zones spécifiques du cortex cérébral dont le cortex insulaire droit et le cortex préfrontal, impliqué respectivement dans le monitoring des états corporels et l'attention. De plus, les sujets méditants les plus âgés montraient la plus forte augmentation d'épaisseur, le contraire du processus normal d'amincissement observé avec le vieillissement. La pratique assidue de la méditation aurait donc le même effet que des phénomènes bien documentés comme par exemple l'accroissement, chez les musiciens ou les jongleurs professionnels, des aires corticales auditives, visuelles et motrices, grandement sollicitées dans ces activités.
 
Mario Beauregard est un autre chercheur qui s'intéresse beaucoup aux états cérébraux associés à différents types d'expériences religieuses ou mystiques. En 2005, le neuropsychologue a persuadé quinze sœurs carmélites de venir dans son laboratoire se remémorer l'extase mystique la plus intense que leur pratique contemplative leur avait permis d'éprouver, alors que leur activité cérébrale était observée par différentes techniques d'imagerie (voir capsule outil ci-bas). Plusieurs expériences ont en effet démontré que le fait de se remémorer quelque chose produit sensiblement la même activité cérébrale que le fait de le vivre réellement (car les religieuses ne pouvaient vivre " sur commande " leurs expériences mystiques dans le scanner).

 

Les religieuses, les yeux fermés et la respiration ralentie, semblaient atteindre un état comparable à celui induit par la méditation. Mais les impressions subjectives rapportées par les carmélites s'en distinguent. Dans la tradition contemplative chrétienne, l'extase mystique est décrite comme un état d'union avec Dieu, une communion directe qui génère chez le croyant un état de grâce, de paix, de joie profonde et de plénitude. Alors que dans la tradition bouddhiste, ceux qui méditent concentrent plutôt leur attention sur leur respiration ou sur des pensées qui émergent sans chercher à entrer en communion avec une divinité externe à l'individu.
 

L'électroencéphalogramme (EEG) des carmélites, comme celui des adeptes de la méditation bouddhiste, présentait surtout des ondes alpha caractéristique d'un individu aux yeux clos, éveillé mais détendu. Dans les lobes préfrontaux, pariétaux et temporaux, des ondes lentes de type thêta apparaissaient aussi au fil de l'expérience. Mais c'est la présence d'ondes delta, d'une fréquence encore plus basse, et que l'on observe généralement que lors du sommeil profond, qui distinguait l'état d'extase des religieuses de l'état de "pleine conscience" de la méditation.


Beauregard et sont équipe, dans un article publié en 2006, identifient aussi plusieurs régions du cerveau des religieuses dont l'activité était modifiée durant le souvenir de leur communion extatique avec Dieu (en comparaison avec le souvenir d'une interaction intense avec une autre personne, l'état contrôle choisi dans ce cas-ci). L'extase mystique était accompagnée par exemple d'une augmentation de l'activité dans le noyau caudé, une petite structure sous-corticale impliquée dans l'apprentissage, la mémoire et surtout les émotions positives et le " coup de foudre " amoureux, raison pour laquelle son activation paraît conséquente avec le sentiment d'amour inconditionnel rapporté par les carmélites.


L'insula gauche voyait aussi son activité augmenter, probablement à cause des sensations viscérales plaisantes accompagnant l'extase religieuse. De même que le cortex orbitofrontal médian droit (qui pourrait être impliqué dans l'évaluation du plaisir ressenti), le cortex préfrontal médian gauche (impliqué dans la prise de conscience d'un état émotionnel), le cortex cingulaire antérieur (qui refléterait l'aspect émotionnel associé avec la détection de signaux corporels viscéraux), certaines régions du système limbique (associé aux émotions) et le milieu du lobe temporal médian droit. L'activation de ce dernier rejoint plusieurs autres observations antérieures (notamment celles sur les foyers épileptiques localisés à cet endroit). Par ailleurs, l'observation d'une augmentation d'activité dans les lobules pariétaux inférieurs et supérieurs droits ainsi que inférieur gauche va à l'encontre de la baisse d'activité souvent observée à cet endroit durant des extases mystiques (par exemple par Newberg et Davidson). Mais l'on croit que le sentiment d'être " absorbé par quelque chose de plus grand " associé à une altération fonctionnelle du lobe pariétal pourrait en théorie être produit aussi bien par une baisse ou un excès d'activité de cette région cérébrale.

 

Dans l'ensemble, la grande diversité des régions cérébrales impliquées dans les diverses manifestations des phénomènes religieux suggère une grande complexité de ceux-ci. Mario Beauregard confirme ici qu'il n'y a rien de tel qu'un " module de Dieu " (God spot, en anglais) dans le cerveau humain, mais bien, comme pour toute fonction supérieure, un vaste réseau neuronal distribué dont l'activité se modifie pour produire les différents aspects des expériences mystiques.

 

Expériences dont la nature diffère non seulement au niveau subjectif selon la tradition de la pratique religieuse, mais également au niveau des corrélats de l'activité cérébrale comme le montre les quelques études rapportées ici.


Un dernier exemple pour illustrer cette grande diversité. Dans une étude publiée en 2006, Andrew Newberg et son équipe se sont intéressés au phénomène de glossolalie. Dans certaines pratiques religieuses comme le christianisme ou le chamanisme, certaines personnes se mettent parfois à " parler en langues ", c'est-à-dire à prier à haute voix dans une langue que personne ne comprend mais qui serait compréhensible par Dieu. Les personnes qui " parlent en langues " disent avoir conscience de leur environnement, mais ne pas avoir de contrôle sur ce qui se passe dans leur corps.

 

Neweberg a donc réussi à scanner le cerveau de 5 femmes qui " parlaient en langues ". Les résultats indiquent une diminution de l'activité des lobes frontaux comparé à ceux de 5 autres sujets religieux qui ne faisaient que chanter du gospel. Parce que les lobes frontaux sont globalement très impliqués dans le contrôle de soi, l'équipe de Newberg suggère que cette baisse d'activité pourrait expliquer la perte de contrôle nécessaire pour l'expression spectaculaire de la ferveur religieuse durant la glossolalie.
 
L'étude rapporte également une baisse de l'activité dans les aires du langage ainsi que dans le noyau caudé. Cette dernière observation semble difficile à expliquer puisque cette structure est généralement activée par des affects positifs. Mais comme cette structure a aussi été associée avec la capacité de passer d'une langue à une autre chez les personnes bilingues, on pense que c'est cet aspect fonctionnel qui serait en jeu ici. Globalement, il semble en tout cas il y avoir une baisse d'activité dans des régions liées au langage, ce qui serait cohérent avec la perte de contrôle langagière observée durant la glossolalie. Une chose est sûre, les intrications entre ces différentes structures sont complexes et l'on est loin de comprendre la contribution de chaque région impliquée.

 

Difficultés méthodologiques

 

Bien que les techniques d'imageries permettent d'identifier des régions cérébrales qui s'activent ou se taisent durant une expérience dite " mystique ", leurs limites, en terme de résolution spatiale ou temporelle, empêchent de fournir une explication détaillée du phénomène, notamment au niveau neuronal.
Il est aussi très difficile, dans les études d'imagerie, de trouver une tâche de référence idéale, c'est-à-dire un comportement qui solliciterait le cerveau exactement comme l'expérience mystique mais sans la composante " mystique ", justement. Cela afin de pouvoir soustraire le pattern d'activation de la tâche de référence du pattern d'activation de l'expérience mystique et ainsi obtenir seulement les fluctuations d'activité propre au caractère " mystique " de l'expérience.
Plus largement, les études neurobiologiques des états religieux se heurtent aussi au problème du langage. Chaque expérience mystique est en effet décrite de manière différente selon les croyances de la personne qui la vit. Pour un athée, un certain type d'expérience pourra être rapporté en terme d'union avec le cosmos alors que pour un chrétien, le même type d'expérience sera associé à Dieu.
Pour aider à clarifier tout ça, certains suggèrent d'être plus spécifique dans la description des états, c'est-à-dire chercher à les décrire plus en terme de changement d'attention, de mémoire et de perception, etc. Puis d'essayer de voir ce qui se passe dans chacun de ces sous-systèmes, comme on essaie de le faire dans la recherche sur la cognition ou les émotions.
 
Que peut-on conclure de ces études ?


Encore plus difficile que les problèmes méthodologiques est la question de l'interprétation de ces résultats.
Les athées affirment que trouver des corrélats neuronaux aux expériences religieuses montre bien que Dieu n'est qu'une illusion créée par notre cerveau, que c'est une " propriété du cerveau " qui n'a rien à voir avec un quelconque au-delà. Et ils espèrent que dissiper cette illusion sera le début de la fin du règne des guerres de religions, du fanatisme et de l'intolérance issus des croyances dogmatiques, en particulier celle de l'existence d'un dieu unique.


De leur côté, les croyants se sentent menacés et offensés par l'idée que leur Dieu ne pourrait être qu'une création de leur cerveau. Malgré cela, plusieurs religieux se prêtent tout de même à la recherche de corrélats neuronaux de leurs expériences mystiques. Et la mise en évidence de certains patterns d'activation neuronale spécifique à l'état de transe religieuse renforce au contraire leur croyance que Dieu a créé le cerveau humain pour nous permettre de communiquer avec lui et pour sentir sa présence.


Les croyants qui se prêtent à ces expériences font aussi confiance aux scientifiques responsables de ces programmes de recherche car plusieurs de ceux-ci ne sont pas, contrairement à nombre de scientifique, des athées matérialistes et laissent une porte ouverte à certains phénomènes " spirituels " que leurs travaux pourraient permettre d'appréhender. Ils prétendent ainsi vouloir dresser un pont entre science et religion.

 

Par ailleurs, la communauté scientifique s'accorde pour dire que les expériences mystiques, ayant des corrélats neuronaux qui leur sont propres, sont bel et bien réelles pour les personnes qui les vivent, au même titre que les états altérés de conscience accompagnant la schizophrénie ou la prise de drogue, par exemple. Mais certains s'attirent les critiques de leurs collègues lorsqu'ils font un pas de plus et affirment que le type de réalité des expériences religieuses pourrait être différent. Que les circuits activés pourraient avoir évolué pour nous permettre d'entrer en contact avec " un niveau supérieur de réalité ".

 

Ces critiques viennent du fait que dans une perspective matérialiste, celle de la science contemporaine, nous expérimentons le monde par l'entremise des simulations que fait notre cerveau à partir des données sensorielles qui lui sont accessibles, et rien n'indique actuellement que les circuits activés lors des expériences mystiques ne soient autre chose qu'une simulation de cet ordre.
 

" Dieu " serait-il le fruit de l'évolution ?


Maintenant, est-ce que ces circuits auraient pu être sélectionnés par l'évolution pour une quelconque valeur adaptative ? Voilà une autre question grandement débattue. Les croyances en une " entité supérieure " sont si répandues dans tous les peuples de la Terre qu'elle incite à penser qu'un telle caractéristique universelle pourrait avoir des bases biologiques.


Selon plusieurs chercheurs ces circuits auraient été sélectionnés pour nous aider à mieux vivre, à faire face aux grandes questions existentielles qui ont surgi avec l'émergence de la conscience (pourquoi souffrons-nous, pourquoi mourrons-nous, qu'y a-t-il après la mort, etc). L'expérience mystique permettrait d'apaiser ces angoisses. Et en y associant des mythes de des rituels, les êtres humains auraient ainsi créé les religions.
Certains expliquent l'avènement des religions davantage par le fait qu'elles constituent une éthique, un code de vie, autrement dit une manière d'éviter d'avoir à prendre constamment des décisions. Prendre consciemment une décision est un processus énergivore, et un mécanisme offrant un guide permettant de limiter la prise de décision pourrait avoir été sélectionné, comme plusieurs de nos mécanismes de pensée inconscients d'ailleurs.

 

D'autres expliquent le rituel religieux comme étant l'acceptation du prix à payer pour bénéficier des avantages liés au fait d'appartenir à un groupe. Autrement dit, si tous les individus croient en un même être supérieur, cela favorise la stabilité de la société. Cette prédisposition aurait alors pu être sélectionnée comme l'une des nombreuses habiletés sociales de l'être humain.


Finalement, l'avènement des neurosciences dans le domaine religieux ne permettra peut-être pas de fournir des armes décisives ni aux athées, ni aux croyants. Toutefois, les résultats obtenus jusqu'à présent, s'ils permettent d'accepter l'existence possible d'une forme d'extase particulière qui pourrait être cultivée par la pratique, n'apportent pas d'eau au moulin des religions révélées et des dogmes religieux. Au contraire, le fardeau de la preuve est plus que jamais du côté des adeptes des religions révélées. Ceux-ci devront d'abord expliquer pourquoi leur doctrine particulière serait LA seule véritable religion. Et comment elle peut être autre chose qu'une histoire inventée par des êtres humains. Des être humains, en plus, susceptibles d'avoir quelques prédispositions évolutives à cet effet.