"Qu'il marche, qu'il soit debout, assis, ou repose, qu'il parle ou fasse silence,

il demeure constamment recueilli. " (Syksasamuccaya)

"Goûtez de cette Voie les délices et la joie tout en vagabondant dans la Réalité"  (Sin-ming)

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La disparition du temps en relativité

06/10/2021

La disparition du temps en relativité

La théorie de la relativité générale est la théorie de la disparition du temps. Que signifie cette disparition ? Quelles notions à caractère temporel la théorie permet-elle d’envisager ?

 

Je commencerai par un rapprochement historique. Si, comme on le sait, il n’y a pas d’espace physique proprement dit chez Aristote, on peut caractériser le cadre géométrique de sa physique par les notions d’horizontal et de vertical. Les deux sont de nature différente puisque, par exemple, le mouvement naturel des corps lourds suit la verticale. Et cela correspond bien au sens commun qui nous indique que le déplacement d’un objet selon l’horizontale est bien plus facile que selon la verticale, ce que nous imputons aujourd’hui à la gravité. La révolution newtonienne du XVIIe siècle se lit alors comme le remplacement suivant :

 

horizontal + vertical ==> espace isotrope

 

 

En effet, l’une des contributions majeures de Newton fut d’introduire un espace physique homogène et isotrope, représenté mathématiquement par l’espace géométrique euclidien. L’isotropie signifie que toutes les dimensions sont équivalentes : rien ne distingue, en particulier, une verticale des horizontales. Cela n’était possible qu’au prix de la reconnaissance du phénomène responsable de la distinction apparente entre ces dimensions : la gravitation. Et l’on sait bien que l’introduction de cette interaction fut l’une des autres grandes innovations newtoniennes. Le génie du savant fut d’avoir déclaré, contre l’évidence, que les dimensions horizontale et verticale étaient de même nature. Contre l’apparence puisque, dans la vie courante (sur Terre), tout semble les distinguer ; et que Newton n’avait pu profiter des expériences en impesanteur qui aujourd’hui rendent concrète cette disparition : où serait la verticale pour un cosmonaute dans son vaisseau spatial ? Où serait-elle pour un habitant d’une planète de la galaxie d’Andromède ? Il peut sans doute en définir une dans son voisinage immédiat, dirigée par exemple vers le centre de sa planète ; mais elle n’a rien à voir avec notre « verticale », sur Terre, que j’aimerais qualifier de notre « verticale propre » (d’ailleurs elle-même ambiguë : au pôle ou à l’équateur ?). Il n’y a plus, dans l’espace newtonien, de verticale ; mais chacun peut définir à sa guise sa verticale propre, par exemple simplement comme la direction qui joint ses pieds à sa tête.

 

La révolution relativiste, celle de la relativité restreinte (RR), se formule de manière strictement identique, en remplaçant « verticale » par « temps » et « horizontal » par « espace » :

 

espace + temps ==> espace-temps isotrope


L’espace-temps est isotrope : toutes ses directions sont identiques. Aucune ne représente le temps ; aucune ne représente l’espace. Ce n’est que dans notre environnement local que nous pouvons distinguer une dimension particulière, que nous qualifions de temporelle. Elle nous est propre, et ne vaut que là où nous sommes. C’est elle qui joint notre état présent à nos états futurs. Mais elle ne vaut que pour nous, et n’a de pertinence que dans notre environnement (en toute rigueur, uniquement à la position que nous occupons ; avec une précision limitée, dans un voisinage étendu à la Terre, au système solaire, ou même à notre galaxie).

 

Un autre « observateur » subit l’écoulement de sa durée propre. Cette dernière n’a pas plus à voir avec la nôtre que la verticale de l’habitant d’Andromède n’avait à voir avec la verticale terrestre : pas de temps défini pour tous et partout, pas plus que de verticale.

 

Cela réside de manière profonde dans la formulation mathématique de la théorie. La pertinence du cadre géométrique de la physique (de la nature) se manifeste par les transformations que l’on peut y accomplir. Ces transformations forment un groupe, au sens mathématique du terme.

 

– Chez Aristote, les rotations horizontales (c’est-à-dire dans un plan) forment un groupe que les mathématiciens baptisent SO(2), où le 2 se réfère aux deux dimensions du plan dans lequel il agit. Une rotation dans le plan est définie par la seule donnée de son angle : on dit que ce groupe est à une dimension. Les rotations selon l’unique dimension verticale sont quant à elles trivialement limitées.

 

– Chez Newton, le groupe s’élargit : toutes les rotations sont permises et équivalentes, y compris celles qui impliquent la verticale. Et elles ont toutes le même statut. Nous pouvons l’observer aujourd’hui concrètement dans un vaisseau spatial (pensons à la goutte de whisky du capitaine Haddock : loin de la gravitation, elle prend une forme sphérique qui manifeste directement l’isotropie de l’espace). Le groupe des rotations dans l’espace est plus grand : il est à trois dimensions. Les mathématiciens le baptisent SO(3), où le 3 se réfère aux trois dimensions de l’espace.

 

Le passage à la physique newtonienne s’exprime donc par un accroissement des symétries du cadre géométrique. A posteriori, la verticale apparaît comme ce qui « brisait » la symétrie de l’espace, réduisant le groupe SO(3) à SO(2) seulement.

 

– Chez Einstein (RR), la symétrie s’élargit encore puisque toutes les dimensions ont le même statut, y compris celles qui impliquent ce que l’on voudrait encore appeler temps. Le groupe est maintenant le groupe des rotations dans l’espace-temps. Il s’appelle SO(3,1), ou groupe de Lorentz. Il est à six dimensions. L’existence de ce groupe indique précisément qu’aucune des dimensions de l’espace-temps ne peut être extraite et appelée temps : toutes ont le même statut (du moins à l’intérieur d’une grande famille). Les symétries de l’espace-temps sont bien plus nombreuses que celles de l’espace.

 

L’isotropie de l’espace-temps – impossibilité de choisir une dimension temporelle – est le fondement de la RR, tout comme l’isotropie de l’espace – impossibilité de définir une verticale – est ce qui fonde la physique newtonienne. Rétrospectivement, la division newtonienne en espace et temps apparaît également comme une « brisure de symétrie » : le temps (de Newton) est ce qui brise la symétrie de l’espace-temps (de la RR), tout comme la verticale est ce qui brise la symétrie de l’espace.

 

La relativité générale va encore plus loin ; ce ne sont pas seulement toutes les dimensions rectilignes de l’espace-temps qui ont le même statut : toutes les courbes (du moins d’un certain genre dit « temporel » précisément) sont équivalentes. Aucune de ces courbes (laquelle choisirait-on ?) ne peut être qualifiée de temps.

 

Simultanéite

 


Historiquement, cette vision spatio-temporelle ne s’est pas imposée immédiatement. Ce qu’Einstein a vu d’abord, c’est la disparition du temps. Ce n’est que plus tard, à la suite des travaux de Minkowski et de Poincaré, que fut introduite la notion d’espace-temps. Einstein a déduit la disparition du temps de celle de la simultanéité. Par des expériences de pensée impliquant les signaux lumineux, il s’est aperçu qu’il était impossible de décider si deux événements étaient simultanés ou non. Si un temps existait, il permettrait de dater les événements. Et si l’on pouvait dater les événements, il suffirait de comparer leurs dates pour décider si oui ou non ils sont simultanés.

 

Précisons qu’Einstein a conçu une expérience de pensée qui permet à un observateur donné de décider de la simultanéité de deux événements de son point de vue personnel. Cette simultanéité relative n’est définie, et ne prend de sens, que comme résultat d’une telle mesure accomplie par l’observateur que l’on considère (et pas un autre). Elle n’est pas pour autant associée au temps propre de cet observateur (ni à aucun autre). Et Einstein a montré clairement que deux événements qui apparaissent simultanés à un observateur n’apparaîtront pas simultanés à un autre. Je précise – si besoin est – qu’il est impossible de définir un temps (ou même une fonction temporelle) qui serait tel que ces simultanéités correspondraient à des coïncidences de dates.

 

Causalité et durées propres


S’il n’y a pas de temps en relativité (restreinte ou générale), la théorie admet deux notions fondamentales qui ont une connotation temporelle : celle de causalité et celle de durées propres. En physique newtonienne, ces deux notions se confondent avec celle de temps : la causalité est identique à la chronologie établie à l’aide du temps, et toutes les durées propres entre deux événements sont identiques, confondues avec la « durée » que le temps définit comme différence des dates entre les deux événements. La confusion entre ces notions relativistes et celle de temps est une des principales sources d’incompréhension de la relativité.

 

Pour évoquer les durées propres, considérons deux événements dans l’univers : A, l’explosion d’une étoile lointaine ; B, l’arrivée d’une météorite sur la Terre. En physique newtonienne, le temps permet d’assigner une date à chacun. La durée (temporelle) séparant ces deux événements se définit alors simplement comme la différence de leurs dates. Par exemple, l’explosion A s’est déroulée il y a 1 000 ans, l’arrivée de la météorite il y a 100 ans ; la durée qui les sépare est de 900 ans. Tout cela a un sens bien défini en physique newtonienne. En relativité, il n’existe pas de notion de durée entre ces deux événements. La théorie les considère comme deux points A et B dans l’espace-temps et l’on peut tracer (imaginer) une infinité de segments de courbe les reliant. Précisément, la métrique de l’espace-temps (en fait pseudo-métrique ; une de ses propriétés fondamentales en RR) permet d’assigner une (pseudo-)longueur à chaque segment de courbe : c’est ce que la théorie baptise durée propre séparant ces deux événements le long de la courbe correspondante. Notons que c’est la seule notion qui se rapproche des durées que l’on puisse définir dans la théorie. On ne définit pas de « durée propre entre A et B », mais des « durées propres entre A et B le long de chaque segment de courbe qui les joint ». Il y en a autant que de tels segments : une infinité.

 

Certains de ces segments peuvent être associés à des observateurs. Un observateur occupe à chaque instant de sa vie un point de l’espace-temps. En joignant tous les points de son histoire, on obtient une ligne dans l’espace-temps : sa ligne d’univers, succession continue des événements de sa vie. Imaginons qu’un observateur ait vécu les deux événements que nous avons considérés (en relativité, c’est une condition nécessaire pour qu’il puisse définir une durée propre entre eux). Cela veut dire que sa ligne d’univers passe par les deux points A et B. La durée propre ainsi associée à son histoire est celle qu’il aura vécue, ressentie, mesurée… entre les deux événements.

 

Autant d’observateurs possibles, autant de lignes d’univers, autant de durées propres entre les deux événements (pour autant qu’ils y aient effectivement participé ; dans le cas contraire, ils ne peuvent définir aucune durée propre). Deux observateurs aux histoires différentes auront vécu entre A et B deux durées propres différentes. Aucune d’entre elles ne définit quelque chose que l’on pourrait appeler le « temps », et qui se serait écoulé entre les deux événements; 

 

 

Les jumeaux de langevin

 


L’historiette des jumeaux de Langevin illustre parfaitement la nature du temps propre. À l’âge commun de 18 ans, les deux jumeaux se séparent : l’un reste sur Terre tandis que l’autre entreprend un voyage interstellaire. Lorsque le jumeau voyageur revient, il fête ses retrouvailles avec son frère. Ce dernier a 50 ans, alors que le voyageur n’a que 30 ans. Les deux jumeaux ont vécu deux histoires différentes ; ils ont éprouvé, ressenti, mesuré… des durées propres différentes. Précisons qu’il n’y a aucune ambiguïté : c’est dans tous les sens du terme que les deux jumeaux ont l’un 30 ans, l’autre 50 ans. L’un a vraiment vécu 32 ans, l’autre 12 ans : qu’il mesure ses années (propres) à sa montre, aux battements de son cœur, ou en définissant une horloge par la durée (propre) qu’il lui faut pour lire un livre, ou pour un exercice de calcul mental…

 

Le jumeau sédentaire n’a pas bougé (ou très peu) : sa ligne d’univers est une droite (en RR) ou une géodésique (en RG). Ce n’est pas le cas pour l’autre jumeau qui, pour partir puis pour faire demi-tour, a subi la poussée des moteurs de sa fusée : il a décrit une courbe compliquée dans l’espace-temps. Que l’on traite le problème du point de vue de la RR ou de la RG, le résultat est le même : les deux jumeaux ont bien vécu des durées différentes.

Temps universel et temps cosmique ?


Reste à comprendre comment il peut se faire que nous ayons la sensation d’un temps universel qui s’écoulerait pour nous tous à la manière newtonienne. La théorie l’explique parfaitement. Si la courbure de l’espace-temps n’est pas trop élevée (c’est-à-dire si le champ de gravitation n’est pas trop intense), et si l’on ne s’intéresse qu’à des mouvements pas trop rapides (en comparaison de la vitesse de la lumière), alors un observateur a la possibilité d’étendre la validité de son temps propre dans une petite région qui l’environne.

 

Jusqu’où ? Tout dépend de la précision des mesures que l’on envisage (en comparaison avec l’intensité de la gravitation et les vitesses en jeu). Pour tout ce qui concerne la vie courante, je puis étendre la validité de mon temps à l’échelle de la Terre, et même du système solaire, sans commettre d’erreur décelable. Le système de repérage GPS nécessite déjà une précision supérieure. Ses données ne peuvent être converties en indications fiables que si l’on tient compte du fait que l’on ne peut parler de temps à une échelle commune à la Terre et aux satellites impliqués : sur Terre s’écoule le temps propre de la Terre ; dans les satellites s’écoulent les temps propres des satellites. Le système d’analyse des données tient compte de cette différence. Si l’on exige une précision encore plus grande, il devient impossible de supposer qu’un temps (même relatif) s’écoule à l’échelle de la Terre : les dernières versions d’horloges atomiques, placées à quelques mètres de distance, ne mesurent pas un temps qui s’écoulerait à leur échelle commune ; mais chacune mesure une quantité différente de l’autre, l’écoulement de son temps propre : elles ne peuvent être synchronisées.

 

Autre évocation à caractère temporel, celle du temps cosmique en cosmologie. Les espaces-temps qui constituent les modèles cosmologiques sont supposés relativement simples, en vertu du principe cosmologique. Cette simplicité – en fait l’existence de symétries importantes – permet de définir une fonction temporelle sur tout l’espace-temps, que l’on baptise temps cosmique. Certaines de ses propriétés rappellent celles du temps – d’où l’appellation – et, pour nous-mêmes (qui l’avons défini), il se confond sur notre ligne d’univers avec notre temps propre. Il constitue un outil pratique pour repérer les processus cosmiques mais il convient de rester prudent car, par exemple, deux événements se déroulant à la même valeur du temps cosmique ne sont pas vus comme simultanés, même par nous-mêmes (qui en sommes pourtant les observateurs les mieux adaptés). Et à vrai dire, en général, nous n’avons aucune idée de la valeur du temps cosmique d’un événement que nous observons : telle ou telle valeur du temps cosmique associée à un événement résulte d’une reconstitution indirecte et souvent très imprécise, en général non mentionnée. En vérité, l’utilité principale de ce « temps cosmique » – sans grande pertinence épistémologique – est de permettre de raccrocher les discours cosmologiques vulgarisés à des notions familières (souvent, hélas, au prix d’approximations).

 

Causalité


Je terminerai enfin avec la notion de causalité, très importante en relativité. En physique newtonienne, la causalité est « triviale » en ce sens qu’elle se confond avec la chronologie. En relativité, pas de chronologie, mais une causalité parfaitement définie, à tel point que beaucoup de physiciens la considèrent comme la propriété fondamentale de l’espace-temps. Pour l’exprimer, étant donné deux événements A et B : A peut précéder causalement B ; B peut précéder causalement A ; A et B peuvent être causalement déconnectés. Des événements déconnectés peuvent être déclarés simultanés par un observateur, mais A peut précéder B du point de vue chronologique d’un deuxième observateur : et B peut précéder A du point de vue chronologique d’un troisième. Autrement dit, causalité et temporalité sont deux notions tout à fait différentes en relativité.

 

La notion de temps est donc fondamentalement incompatible avec la relativité. Et la formulation de la théorie se porte mieux si l’on évite les références à toute notion temporelle : temps propres et temps cosmique. Cela est le préliminaire aux approches nouvelles de gravité quantique, qui d’ailleurs « nettoient » de manière similaire la physique quantique en la formulant sans le temps. Mais cela est une autre histoire !

Lettre de Bassui au seigneur Nakamura

05/09/2021

Lettre de Bassui au seigneur Nakamura

Vous me demandez comment pratiquer le zen en vous référant à cette phrase d’un sutra : « L’Esprit, n’ayant pas de demeure fixe, doit couler librement. » Il n’y a pas de méthode précise pour atteindre l’illumination. Si vous vous contentez de regarder directement dans votre nature essentielle, sans vous en laisser détourner, la fleur de l’Esprit fleurira. C’est ce que veut dire la phrase que vous avez citée, et qui résume à elle seule des milliers de propos tenus par des bouddhas et des patriarches. L’Esprit est la vraie nature des choses, transcendant toutes les formes. La vraie nature est la Voie.

 

La Voie est le Bouddha. Le Bouddha est l’Esprit. L’Esprit n’est ni à l’extérieur ni à l’intérieur, ni entre les deux. Il n’est ni être ni néant, ni non-être ni non-néant, ni Bouddha, ni esprit, ni matière — c’est pourquoi il est dit « sans demeure ». Cet Esprit voit les couleurs par les yeux et entend les sons par les oreilles. Cherchez directement ce maître !

 

Un ancien maître du zen a dit : « Le corps, composé des quatre éléments essentiels, ne peut ni entendre ni comprendre ce sermon. La rate, l’estomac, le foie, la vésicule biliaire ne le peuvent pas non plus, pas plus que le vide de l’espace. Alors, qui entend et comprend ? » Si votre esprit reste attaché à des formes ou à des sentiments quels qu’ils soient, s’il est influencé par le raisonnement logique de la pensée conceptuelle, vous êtes aussi loin de la vraie connaissance que le Ciel l’est de la Terre.

 

Comment mettre un terme d’un seul coup aux souffrances de la transmigration ? Dès que vous voulez progresser, vous vous perdez dans le raisonnement, mais si vous renoncez, vous tournez le dos au vrai chemin. Si vous n’avancez ni ne reculez, vous devenez un mort vivant. Mais si, en dépit de ce dilemme, vous videz votre esprit de toute pensée et poursuivez votre zazen, vous finirez par être éclairé et par comprendre la phrase : « L’Esprit, n’ayant pas de demeure fixe, doit couler librement. » À l’instant vous saisirez le sens de tous les dialogues du zen aussi bien que la signification profonde et subtile de tous les sutras.

 

Le laïc Ho ayant demandé à Baso : « Qu’est-ce qui transcende tout dans l’univers ? » Baso répondit : « Je te le dirai lorsque tu auras bu d’une seule gorgée les eaux du Fleuve de l’Ouest. » À l’instant même, Ho connut l’illumination. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela explique-t-il la phrase « L’Esprit, n’ayant pas de demeure fixe, doit couler librement » ou cela s’adresse-t-il à celui qui lit ceci ? Si vous ne comprenez toujours pas, recommencez à vous demander : « Qu’est-ce qui entend ? » et découvrez-le à cet instant précis ! Le problème de la transmigration est d’une importance capitale et le monde va vite. Le temps est précieux, car il n’attend pas.

 

Votre propre Esprit est par nature bouddha. Les bouddhas sont ceux qui ont compris cela. Les autres sont des êtres vivants ordinaires. En dormant, en travaillant, debout ou assis, demandez-vous : « Qu’est-ce que mon propre Esprit ? » en plongeant votre regard dans la source où naissent les pensées. Quel est le sujet qui, en cet instant même, perçoit, pense, bouge, travaille, avance ou recule ? Pour le savoir vous devez aller jusqu’au bout de votre question. Mais même si vous n’accédez pas à cette connaissance dans votre vie présente, vous le ferez, grâce à vos efforts, dans votre prochaine existence.

 

En vous livrant au zazen, ne pensez pas en termes de bien et de mal. N’essayez pas d’empêcher les pensées de naître. Demandez-vous seulement : « Qu’est-ce que mon propre Esprit ? » Cette interrogation sans réponse vous conduira finalement dans un cul-de-sac où votre pensée sera mise en échec. Continuez pourtant encore, et l’esprit qui raisonne s’évanouira lui-même et vous n’aurez plus conscience que du vide. Lorsque cette conscience elle-même s’effacera, vous comprendrez qu’il n’y a pas de bouddha extérieur à l’Esprit ni d’Esprit extérieur au bouddha. Alors, pour la première fois, vous découvrirez que lorsque vous entendez vraiment et que lorsque vous ne voyez pas avec vos yeux vous voyez vraiment les bouddhas du passé, du présent et de l’avenir. Mais ne vous attachez pas à tout ce que je vous dis là, faites-en l’expérience par vous-même !

 

Qu’est-ce que votre propre Esprit ? La nature originelle de chacun est le Bouddha. Mais les hommes en doutent, ils cherchent le Bouddha et la Vérité en dehors de leur Esprit et, de ce fait, ils n’atteignent pas l’illumination, se laissant désespérément entraîner dans le cycle de la réincarnation, dans le karma du bien ou du mal. La source de tout esclavage karmique est l’erreur, c’est-à-dire les pensées, les sentiments et les perceptions qui naissent de l’ignorance. Débarrassez-vous d’eux et vous serez délivré. De même que les cendres qui recouvrent un feu de braise sont dispersées lorsqu’on souffle sur elles, de même ces illusions se disperseront une fois que vous connaîtrez votre vraie nature.

 

En pratiquant le zazen, ne maudissez pas vos pensées et ne vous laissez pas séduire par elles. En tournant votre esprit vers l’intérieur, regardez en leur source, et les sentiments et les perceptions trompeuses qui sont à leur origine s’évanouiront. Cela n’est pourtant pas la connaissance de soi-même, même si votre esprit devient lumineux et vide comme le ciel, si vous ne faites plus de différence entre l’intérieur et l’extérieur. Prendre cela pour la connaissance serait confondre mirage et réalité. Continuez à chercher quel est cet esprit, en vous, qui entend. Votre corps physique, composé des quatre éléments premiers, est un fantôme sans consistance et pourtant, en dehors de lui, il n’y a pas d’esprit. L’espace vide ne peut ni voir ni entendre — et pourtant quelque chose en vous distingue des sons. Qu’est-ce donc ? Lorsque cette question vous dévore complètement, la discrimination entre bien et mal, la conscience de l’être ou du vide s’évanouissent comme une lumière s’éteignant dans la nuit. Bien que vous n’ayez plus conscience de vous-même, vous pouvez encore entendre et savoir que vous existez. Essayez tant que vous voudrez de découvrir qui entend, vos efforts échoueront et vous vous trouverez dans une impasse. Et soudain votre esprit connaîtra une grande illumination et il vous semblera surgir d’entre les morts, riant et battant des mains. Pour la première fois vous saurez que l’Esprit lui-même est bouddha. Si quelqu’un me demandait : « À quoi ressemble l’esprit-de-bouddha ? » je répondrais : « Les poissons jouent dans les arbres, les oiseaux volent au fond de la mer. » Qu’est-ce cela signifie ? Si vous ne le comprenez pas, regardez dans votre propre Esprit et demandez-vous : « Quel est le maître qui voit et qui entend ? » Ne perdez pas votre temps ; il n’attend personne.

Odysseus, la Voie de la Réalisation de soi

19/08/2021

Odysseus, la Voie de la Réalisation de soi

Il ne fait nul doute pour tout lecteur averti que le récit de l'Odyssée, du nom de son unique héros Odysseus (Ulysse) qui lui a donné son nom, est un message crypté décrivant le parcours initiatique de quiconque se risquerait à la Réalisation de soi. Homère était en effet un initié des Ecoles à Mystères grecques.

 

"On suppute que l'initiation s'effectuait moins par l'absorption d'un savoir théorique que par des procédés très encadrés, parmi lesquels devaient figurer la concentration, la contemplation intensive d'images symboliques, les techniques respiratoires et la répétition d'actes rituels" (LE VOYAGE D'ULYSSE ET LA VOIE INITIATIQUE de Pascal Bancourt P17).

 

A noter que le processus complet de l'initiation comportait deux niveaux appelés les petits Mystères et les grands Mystères mais que le parcours d'Odysseus se limite au petits Mystères, "l'initiation royale", c'est à dire la Réalisation de soi et donc de l'Œuvre au Blanc de l'alchimie.

 

 

Le personnage d'Odysseus

 

Odysseus signifie "le courroucé", "celui qui est en colère" ce qui est intéressant à noter quant à l'état d'Esprit nécessaire pour amorcer le processus d'individuation. Car il ne s'agit pas d'une colère ordinaire, mais de la colère transformatrice, archétype très puissant. On peut également y voir une référence à Némesis, déesse de la mythologie grecque mais aussi un concept : celui de la juste colère (des dieux). 

 

Un autre point intéressant dans la personnalité d'Odysseus est sa qualité reconnue "de sage" mais également "de rusé", qui renvoie immédiatement au concept de la Métis grecque. Dans la tradition orphique, Métis est l'une des forces primordiales, à l'instar d'Éros aux côtés duquel elle trône. Platon fait d'elle la mère de Poros, qui désigne d'abord le passage, le chemin, puis l'expédient.

 

Pénélope et les prétendants

 

Tous les personnages et les créatures que va rencontrer Odysseus dans son périple sont des parties de lui-même car il s'agit d'un voyage intérieur dans la psyché de l'(in-)dividu ("Visita Interiora Terrae"). Ainsi Pénélope n'est autre que l'âme d'Odysseus, et les prétendants figurent les passions et les désirs qui mènent l'homme à sa ruine.

 

 

Les Lotophages

 

La flotte d'Odysseus, s'étant éloignée des rivages de Troie, pilla Ismaros, la cité des Cicones. Zeus, irrité, déclencha une tempêté qui écarta la flotille d'Odysseus de sa route retournant à Ithaque. Pendant 9 jours, ils furent emportés vers le grand large, dans une direction opposée à celle qu'ils voulaient prendre. Au bout du 10ème jour, Odysseus accosta au pays des Lotophages, les "mangeurs de lotos" qui leur donnèrent du lotos. Quiconque consommait de ce fruit "doux comme le miel" perdait tout souvenir et ne désirait plus que demeurer sur place dans l'oubli. Le message est que dès lors que l'(in-)divu s'engage sur le chemin de la Transcendance (Oeuvre au Blanc, la réalisation de soi), il va falloir lutter contre sa propre inertie qui va s'amplifier lors de la phase d'Intériorisation (Oeuvre au noir, le dépassement du moi, Solve) et donc au risque de tomber dans la dépression, faute de con-centration (Coagula).

 

Le Cyclope

 

Le Cyclope est une vision dramatisée des pulsions et des instincts élémentaires qui s'agitent chez l'homme. Pour Héraclite, ce géant brutal symbolise "le sauvage emportement de chacun de nous, celui qui dérobe le jugement". Chaque individu abrite dans sa caverne un cyclope dont il subit le joug. Polyphème est fils de Poseidon, le dieu de la mer qui personnifie la composante psychique de l'âme. L'existence du Cyclope résulte d'une coagulation dans l'être humain de l'énergie psychique polarisée sur l'attrait immature du soi pour soi. Son œil unique indique sa vision restreinte aux apparences extérieures. Les compagnons d'Odysseus, qui figurent des composantes de la personnalité humaine et dont six d'entre eux vont mourir dévorés dans la caverne par le Cyclope, symbolisent la perte d'une partie de la personnalité terrestre. Odysseus ne tue pas le Cyclope car l'objectif n'est pas de détruire cette composante animale de l'âme. En lui crevant l'œil, Odysseus aveugle l'existence sensible, la réalité illusoire. Mais celui qui ose s'affranchir de la réalité illusoire s'expose à la colère du dieu des mers, c'est à dire aux secousses brutales du milieu psychique et des forces qui l'agitent.

 

L'ile du dieu Eole

 

Après avoir échappé au Cyclope Odysseus arriva en vue d'une ile flottante enclose d'un mur de bronze, sur laquelle régnait Eole, le gardien des vents. Eole accueillit avec bienveillance Odysseus et ses équipages. Un mois durant il les convia à banqueter avec lui. Quand Odysseus émit le souhait de repartir pour Ithaque, Eole lui confia une outre de cuir dans laquelle il avait enfermé tous les vents contraires. Après neuf jours et neuf nuits de navigation, la flotte approcha d'Ithaque de si près qu'on pouvait voir des hommes allumer des feux sur le rivage, mais le sommeil s'apensantit sur Odysseus. Ses compagnons soupçonnèrent leur maître de leur cacher des richesses qu'Eole lui auraient offerte. Profitant de son sommeil, ils ouvrirent l'outre dans laquelle le dieu avaient confinés les vents. Ceux-ci s'échappèrent aussitôt et déchainèrent une tempête qui repoussa la flotte loin d'Ithaque. La tourmente ramena Odysseus et ses troupes vers Eole. Quand il apprit que leur retour était dû à l'ouverture de l'outre, il les regarda comme maudits par les dieux, les chassa, et refusa désormais de leur renouveler son assistance.

 

Eole est le maitre des vents, qu'il retient ou libère à son gré. Ce n'est pas le vent olympien que souffle l'esprit, mais les énergies mobiles dans l'atmosphère subtile, qui agitent l'espace entre le monde spirituel et les mondes psychiques et corporels. Ces forces vitales, censées être bienfaisantes, peuvent devenir néfastes quand elles se déchainent comme une tempête, en l'absence de tout contrôle. Quand la conscience s'élève au niveau que personnifie Eole, il lui appartient de garder une vigilance constante dans la maîtrise de ces forces. C'est en ce maintenant au niveau d'éveil requis - ce à quoi va échouer Odysseus - qu'elle pourra quitter le milieu psychique, instable comme la mer, pour devenir souveraine à l'état stabilisé que figure la terre d'Ithaque. Les compagnons d'Odysseus personnifient les composantes de la personnalité ordinaire, démunies face aux tentations et promptes à exploiter la moindre torpeur de la conscience. La dispersion mentale profite du relâchement de l'attention pour libérer les énergies que l'ascèse avait neutralisées en les confinant dans le fond de l'être humain. Ce sont des forces mentales et émotionnelles incontrôlées qui, se retournant contre l'homme, l'éloignent de l'objectif de sa quête.

 

Les Lestrygons

 

Après avoir quitté Eole, Odysseus et sa flotte arrivère à Télépyle, le pays des farouches Lestrygons, des géants anthropophages. Odysseus envoya trois de ses hommes voir qui habitait cette terre. A la fontaine de l'Ourse qui fournissait l'eau à la ville, ils rencontrèrent une géante, la fille du roi. La jeune fille leur indiqua la maison de son père Antiphatès. Ils tombèrent sur sa femme qui se hâta d'appeler son mari, qui aussitôt se saisit de l'un des trois visiteurs et le broya pour en faire son repas. Le roi rameuta les Lestrygons qui accoururent par milliers et projetèrent du haut des falaises des blocs rocheux qui fracassèrent les onze navires abrités dans le port. Puis ils harponnèrent les hommes d'Odysseus comme des poissons et les emportèrent pour les dévorer. Odysseus dont le navire mouillait à l'écart, tira son épée et trancha les cables de son vaisseau, qui fut le seul de sa flotte à échapper au désastre avec ses compagnons de nef.

 

Télépyle qui signife "Porte lointaine" indique un seuil entre deux états de conscience symboliquement assimilés au jour et à la nuit. A cet étape, Odysseus s'arrache au monde diurne, celui de la conscience terrestre, pour entrer dans le monde nocturne, celui de l'exploration intérieure,. Les Lestrygons sont les terribles gardiens du seuil. Leur monde est une projection non plus de la vie animale et instinctive, comme celui des Cyclopes, mais du monde terrestre et humain, dont Odysseus va devoir s'extraire. Dans l'anéantissement des compagnons d'Odysseus est symbolisé la suppression des composants de l'être humain qui ne peuvent accompagner la conscience dans la suite de son périple. On ne peut emprunter les "chemins de la nuit" qu'au prix d'une réduction drastique et brutale de soi-même, et d'un renoncement irréversible à ces extensions de sa personnalité terrestre. Une fois qu'Odysseus a franchi le seuil gardé par les Lestrygons, il pénètre dans un plan d'existence où dominent les puissances féminines.

 

 

Circé la magicienne

 

Le navire d'Odysseus cingla vers l'île d'Aiaié où vivait la déesse Circé, fille d'Hélios, dieu du soleil et de la lumière. Il envoya la moitié des ses hommes, soit vingt-deux hommes, sous la conduite d'Euryloque. Circé accueillit les arrivants et leur offrit à boire et à manger, après avoir versé dans leur coupe une drogue qui faisait perdre le souvenir. Dès que ses invités eurent bu ce breuvage, elle les toucha de sa baguette et les changea en porcs. Euryloque, qui soupçonnait une ruse, se tint à l'écart et parvint à s'échapper. Odysseus se dirigea vers la demeure de Circé mais en chemin il rencontra Hermès qui lui donna une herbe appelée moly qu'il n'aurait qu'à mélanger au breuvage que lui servirait Circé pour en neutraliser les effets. Circé, voyant approcher Odysseus, l'invita à boire une coupe dans laquelle elle avait versé le philtre magique. Dès qu'Odysseus eut fini de boire, elle le toucha de sa baguette, mais il déjoua ses sortilèges en tirant son épée. Circé se jeta à ses genoux et jura de ne jamais plus lui tendre de piège, et Odysseus devint son amant. Elle redonna leur forme humaine à ses compagnons en les rendant même plus beaux et plus jeunes qu'ils ne l'étaient auparavant.  Ils demeurèrent une année à savourer à profusion des viandes et du vin au bout de laquelle Circé leur indiqua la route à suivre pour se rendre à l'entrée des enfers pour évoquer l'ombre du devin Tirésias, qui lui dirait comme éviter les dangers de la suite de son voyage.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Solve et Coagula

18/08/2021

Solve et Coagula

"Puisque nous venons de faire allusion à la « coagulation » et à la « solution » hermétiques, et bien que nous en ayons déjà parlé quelque peu en diverses occasions, il ne sera peut-être pas inutile de préciser encore, à ce sujet, certaines notions qui ont un rapport assez direct avec ce que nous avons exposé jusqu’ici. En effet, la formule solve et coagula est regardée comme contenant d’une certaine façon tout le secret du « Grand Œuvre », en tant que celui-ci reproduit le processus de la manifestation universelle, avec ces deux phases inverses que nous avons indiquées tout à l’heure. Le terme solve est parfois représenté par un signe qui montre le Ciel, et le terme coagula par un signe qui montre la Terre ; c’est dire qu’ils s’assimilent aux actions du courant ascendant et du courant descendant de la force cosmique, ou, en d’autres termes, aux actions respectives du yang et du yin. Toute force d’expansion est yang, et toute force de contraction est yin ; les « condensations », qui donnent naissance aux composés individuels, procèdent donc des influences terrestres, et les « dissipations », qui ramènent les éléments de ces composés à leurs principes originels, procèdent des influences célestes ; ce sont là, si l’on veut, les effets des attractions respectives du Ciel et de la Terre ; et c’est ainsi que « les dix mille êtres sont modifiés par yin et yang » depuis leur apparition dans le monde manifesté jusqu’à leur retour au non-manifesté."

 

 

"D’autre part, cette double opération de « coagulation » et de « solution » correspond très exactement à ce que la tradition chrétienne désigne comme le « pouvoir des clefs » ; en effet, ce pouvoir est double aussi, puisqu’il comporte à la fois le pouvoir de « lier » et celui de « délier » ; or « lier » est évidemment la même chose que « coaguler », et « délier » la même chose que « dissoudre » ; et la comparaison de différents symboles traditionnels confirme encore cette correspondance d’une façon aussi nette que possible. On sait que la figuration la plus habituelle du pouvoir dont il s’agit est celle de deux clefs, l’une d’or et l’autre d’argent, qui se rapportent respectivement à l’autorité spirituelle et au pouvoir temporel, ou à la fonction sacerdotale et à la fonction royale, et aussi, au point de vue initiatique, aux « grands mystères » et aux « petits mystères » (et c’est à ce dernier égard qu’elles étaient, chez les anciens Romains, un des attributs de Janus) ; alchimiquement, elles se réfèrent à des opérations analogues effectuées à deux degrés différents, et qui constituent respectivement l’« œuvre au blanc », correspondant aux « petits mystères », et l’« œuvre au rouge », correspondant aux « grands mystères » ; ces deux clefs, qui sont, suivant le langage de Dante, celle du « Paradis céleste » et celle du « Paradis terrestre », sont croisées de façon à rappeler la forme du swastika."