Prendre appui sur les mots,
30 coups de bâton.
Prendre appui sur la méditation,
30 coups de bâton.
Prendre appui sur le vide,
10 000 coups de bâton.
21/02/2023
Le maître que l’on considère aujourd’hui comme le père du Zen moderne était un pauvre garçon de la campagne du sud de la Chine.
Cet article reprend des extraits du livre « L’expérience du Zen – L’évolution historique du Chan et du Zen à travers les vies et les enseignements de ses plus grands maîtres » de Thomas Hoover.
L’autobiographie qui lui est attribuée, le sutra de l’estrade, est le seul « sutra » du bouddhisme qui ait été écrit par un Chinois ; Huineng (638-713) y raconte l’histoire de son ascension, depuis l’obscurité jusqu’à la célébrité. Il a fait de son père le portrait d’un officiel chinois de haut rang qui, injustement banni et réduit à l’état commun, mourut de honte lorsque Huineng n’était encore qu’un petit enfant. Pour survivre, le jeune orphelin et sa mère vendaient du bois sur la place du marché de Hanhai, près de Canton, dans le sud de la Chine. Là, la chance voulut un jour qu’il entendit un homme réciter un passage du sutra du Diamant. Huineng s’arrêta pour l’écouter, et quand il entendit la phrase : « Laissez votre esprit fonctionner librement, qu’il ne se fixe nulle part ni en rien », il connut soudain l’éveil. Après s’être renseigné, il découvrit que le récitant était un disciple du cinquième patriarche, Hongren. Ce maître dit l’étranger, enseignait qu’en récitant le sutra du Diamant il était possible de voir dans sa propre nature et de faire directement l’expérience de l’illumination.
Le sutra du Diamant, que l’on appelle parfois sutra Vajracchedika devint l’objet d’une véritable passion pour Huineng, ainsi que la pierre de touche du nouveau Chan chinois. Ouvrage inhabituellement bref, il a été défini comme l’ultime distillation de la littérature de la Sagesse bouddhique. L’extrait qui suit est représentatif de son enseignement :
« Tous les concepts arbitraires de l’esprit tels que la matière, les phénomènes et tous les facteurs de conditionnement, de même que toutes les conceptions et les idées s’y relatant, sont semblables à un rêve, une chimère, une illusion, un ombre, la rosée evanescente, l’éclair. C’est de cette façon que chaque véritable disciple devrait considérer tous les phénomènes, et toutes les activités de l’esprit, et garder l’esprit vide, sans moi, paisible ».
Le sutra du Diamant n’est pas en quête des hauteurs philosophiques du sutra Lankavatara, le traité que vénérait la première école de méditation de Bodhidharma, et c’est précisément pour cette raison qu’il attira l’attention de l’école du Sud – dont le but était la simplification du Chan. Huineng ne put résister à cet appel et se mit immédiatement en route pour le monastère du cinquième patriarche, dans les montagnes de l’Est.
Quand il arriva, Hongren ouvrit l’entretien en demandant au nouveau venu son origine. Lorsqu’il apprit qu’il venait de la région de Canton, le vieux prêtre poussa un soupir : « Si tu viens du Sud, tu es certainement un barbare. Comment peut tu espérer connaître l’éveil ? » Huinen lui rétorqua : « Il se peut que les gens soient différents dans le Nord et dans le Sud, mais l’éveil est le même dans les deux régions. » Cette impertinence permet au maître de se rendre compte immédiatement des dons spirituels de Huineng, mais il ne dit rien et se contenta de lui donner comme travail le battage et le pilage du riz. […]
Pendant les huit mois suivants le jeune novice travailla durement dans l’ombre et rencontra secrètement le cinquième patriarche. Puis un jour le vieux prêtre convoqua une assemblée et annonça qu’il était prêt à transmettre la robe du patriarcat à celui qui composerait un verset démontrant une compréhension intuitive de sa propre nature intérieure. Les disciples parlèrent entre eux de ce défi et décidèrent : « Cette robe doit sans aucun doute être transmise à Shenxiu qui est le chef des moines et l’héritier naturel. Il sera un successeur digne du maître, aussi n’allons-nous pas nous creuser la tête pour composer un verset. »
Shenxiu, le maître qui allait être glorifié par l’impératrice Wu à Luoyang, savait ce qu’on attendait de lui et il s’évertua à essayer de composer le verset. Après plusieurs jours d’efforts, il trouva le courage, dans l’obscurité de la nuit, d’écrire sur le mur d’un corridor un gatha qu’il ne signa pas :
« Notre corps est l’arbre de la Bodhi,
Et notre esprit est un miroir brillant
A chaque instant nous les essuyons avec soin
Et n’y laissons se poser aucune poussière. »
Quand le cinquième patriarche vit le verset, il réunit une assemblée dans le corridor, fit brûler de l’encens et déclara que tous devraient réciter le passage anonyme. Il fit cependant venir ensuite Shenxiu dans ses appartements privés et lui demanda s’il était l’auteur du verset. Recevant une réponse affirmative, le maître dit : « Ce vers ne démontre en rien que tu aies déjà atteint la véritable compréhension de ta nature originelle. Tu es parvenu à la grille d’entrée, mais tu n’es pas encore entré dans la pleine compréhension. Prépare ton esprit complètement et quand tu seras prêt, présente un autre gatha. » Il est banal dans le Chan de dire que le verset de Shenxiu insistait sur la pratique méthodique et était parfaitement logique – juste l’opposé du bond subit et antilogique de l’intuition qu’est le véritable éveil. Shenxiu se retira, mais malgré tous ses efforts il fut incapable de produire le second gatha.
Sur ces entrefaites, Huineng entendit les moines qui récitaient les lignes de Shenxiu. Bien qu’il reconnût que leur auteur devait encore comprendre sa propre nature originelle, Huineng demanda qu’on lui montrât le verset et qu’on lui permît d’y rendre hommage. Après qu’on l’eut conduit à la grande salle, le garçon analphabète du Sud barbare demanda qu’on inscrivit son propre gatha à côté de celui qui était sur le mur.
« Il n’y a pas d’arbre de la Bodhi
Ni support d’un miroir brillant.
Puisque tout est vide,
Où la poussière peut-elle se poser ? »
L’assemblée fut véritablement électrisée par la pénétration que contenait le gatha, mais le vieux patriarche, diplomate, déclara publiquement que son auteur manquait de la pleine compréhension. Pendant la nuit cependant, il fit venir le jeune Huineng dans la grande salle de méditation qui était dans l’obscurité ; là il lui exposa le sutra du Diamant, puis lui passa cérémonieusement la robe de Bodhidharma, symbole du patriarcat. Il lui conseilla aussi de partir immédiatement pour le Sud, d’y rester caché un certain temps pour sa propre sécurité, puis de prêcher le Dharma à tous ceux qui voudraient écouter. Huineng partit cette même nuit. Il venait d’être consacré sixième patriarche à l’âge de vingt-quatre ans.
Quand les autres moines se rendirent compte de ce qui s’était passé, ils organisèrent à la hâte une expédition pour retrouver Huineng et les reliques du Chan. Un de ses poursuivants, un ancien soldat de forte carrure, finit par rattraper le nouveau sixième patriarche dans sa fuite. Soudain paralysé par la présence de Huineng, il lui demanda non pas de rendre la robe, mais de l’instruire. Huineng accepta par ces mots :
« Ne pense pas au bien, ne pense pas au mal, dis-moi quel était le visage que tu avais à l’origine, avant même que ton père et ta mère ne soient nés. »
Cette question célèbre – mettant en en scène le concept zen d’une nature originelle qui dans chaque personne précède et transcende les valeurs artificielles telles que le bien et le mal – provoqua chez son poursuivant un éveil immédiat.
Pendant les quelques années qui suivirent, Huineng vécut en reclus dans le Sud, parmi les chasseurs, dissimulant son identité. Les légendes disent que sa bienveillance naturelle lui faisait parfois relâcher en secret les animaux pris dans les pièges des chasseurs, et qu’il n’acceptait que les légumes dans les plats qui lui étaient offerts. Mais cette vie de vagabond anonyme, patriarche alors qu’il n’était pas même ordonné prêtre, ne pouvait être sa condition définitive. Un jour, quand il estima que le moment était venu (en 676, il approchait de la quarantaine), il renonça à sa vie de réfugié et s’aventura dans Canton pour visiter le temple de Faxing. Un après-midi, tandis qu’il flânait, sous l’apparence d’un quelconque visiteur, il surprit un groupe de moines discutant à propos d’une bannière flottant dans le vent.
Un moine déclara : « La bannière bouge. » Un autre insista : « Non, c’est le vent qui bouge. » Bien qu’il ne faut qu’un observateur laïque, Huineng ne put se contenir et il les interrompit par un manifeste théatral : « Vous vous trompez l’un et l’autre. C’est votre esprit qui bouge sans cesse. »
L’abbé du temple, qui se tenait à proximité, fut interloqué par la pénétration profonde de cet étranger et il offrit sur-le-champ de devenir son élève. Mais Huineng déclina cet honneur ; au lieu de cela il demanda que sa tête fut rasée et qu’on lui donnât l’autorisation d’entrer dans les ordres bouddhiques pour être enfin ordonné prêtre. Tous l’acclamèrent bientôt comme le sixième patriarche. Après quelques mois passés à Canton, il décida de s’installer dans son propre temple, à Caoqi, où il enseigna pendant les quatre décennies qui suivirent. C’est de ce monastère que vinrent les enseignements qui allaient définir la foi. […]
La vie réelle de Huineng est une énigme historique ; il se peut bien qu’elle ne soit jamais résolue. On remarque par exemple couramment que ceux qui écrivirent ultérieurement sur le Chan firent beaucoup d’efforts pour rendre Huineng aussi illettré et analphabète que possible, ceci pour mettre l’accent sur ses principes égalitaires (en dépit du fait que le sermon dont il est l’auteur fait référence au moins à sept sutra différents). Les faits furent ajustés de manière à faire ressortir un argument : si un simple marchand de bois analphabète a pu devenir patriarche, quelle meilleure preuve que le foi est ouverte à tous ?
Parmi les nombreuses anecdotes qui entourent ses jeunes années, beaucoup sont également suspectes, et le spécialiste de Huineng le plus respecté a déclaré : « Si nous considérons tout le matériel disponible et en éliminons patiemment toutes les inconsistances en choisissant les légendes les plus vraisemblables, nous pouvons parvenir à une biographie de Huineng à peu près crédible. Si, d’un autre côté, nous éliminons les légendes et les références au sixième patriarche qui ne s’appuient sur aucun document, il se peut que nous arrivions à la conclusion qu’il n’y a, en fait, presque rien que nous puissions dire à son sujet. » Est-il donc si important de savoir si la légende est scrupuleusement fidèle aux faits ? Huineng est autant un symbole qu’un personnage historique, et il était essentiel que sa vie eût des qualités légendaires. Il est possible dans ce cas que l’art ait quelque peu arrangé sa vie, mais ce fut dans un dessein de plus grand envergure.
L’objectif était de formaliser les nouvelles idées philosophiques du Chan du Sud. La seconde partie du sutra de l’Estrade, qui expose de manière détaillée sa position philosophique, a été définie comme une pièce maîtresse de la pensée chinoise, car l’ouvrage n’est pas le fait d’un savant, mais celui d’un sage à l’état pur, dont la sagesse sourdait spontanément des profondeurs intérieures. On concède cependant en général que le caractère unique de son message ne repose pas tant en ce qu’il est original (ce qu’il n’est pas, s’accordent à dire la plupart des érudits), mais en ce qu’il exprime les idées de base du bouddhisme dans des termes chinois. Le sixième patriarche semble parfois mettre en cause le bouddhisme quand il n’accorde aucune importance aux pratiques religieuses traditionnelles, allant jusqu’à suggérer qu’il se pourrait que le paradis occidental bouddhique, la « Terre Pure », fut simplement un état d’esprit.
Celui qui se berce d’illusions porte toute son attention sur le Bouddha et voudrait être né dans l’autre terre ; celui qui est éveillé rend son esprit pur… Il suffit que l’esprit soit sans impureté pour que se rapproche la Terre d’Occident. Si l’esprit donne naissance à des impuretés, alors même que vous invoquez le Bouddha et cherchez à renaître en Occident, il vous sera difficile d’y parvenir … Mais si vous entraînez votre esprit à être sans détour, vous atteindrez cette terre en un instant.
Huineng contestait la pratique traditionnelle du Chan qui consistait à s’assoir en méditation, affirmant qu’il s’agissait plus d’une posture de l’esprit que d’un acte physique (si son sutra est authentique, il devance son élève Shenhui sur ce point). Il distingue deux catégories différentes dans cette pratique : d’une part la posture assise, de l’autre la méditation.
[…] Quel est cet enseignement que nous appelons « être assis en méditation » ? Dans cet enseignement, « être assis » veut dire que sans souffrir d’aucune obstruction, en apparence et dans toutes les circonstances, on n’active pas ses pensées. La « méditation » c’est voir intérieurement sa nature originelle et ne pas en être troublé.
Ailleurs on le cite déclarant que la position assise prolongée ne peut qu’entraver le corps sans profiter à l’esprit. Bien que Huineng ait sévèrement pris à partie ceux qui ne se fient qu’à la méditation, il n’est pas évident qu’il l’ait entièrement exclue. Ce qui qu’il rejetait vraiment, c’était une fixation sur la méditation, une confusion – nous utilisons ici une expression ultérieure du Zen – entre le doigt pointé vers la lune et la lune elle-même. Même s’il en était ainsi, il ouvrait un changement radical. Huineng nous offre la perspective alarmante d’un maître de dhyâna contestant la fonction de dhyâna – laquelle avait été jusque-là la base même de l’école.
Encore le sutra est-il loin d’être entièrement négatif. Il contient un certain nombre de messages positifs, parmi lesquels se trouve celui-ci : tout le monde naît en état d’éveil, état dans lequel le bien et le mal ne sont pas distingués. Dans l’état primal non plus il n’y a ni discriminations troublantes, ni attachements, ni perturbations de l’esprit. (Un point de vue semblable se retrouve dans toute la poésie de William Wordsworth, pour ne prendre qu’un exemple dans la pensée occidentale.) Mais si la nature originelle de l’homme est pure et sans tâche, comment le mal entre-t-il dans le caractère d’une personne ? Il envisage cette question théologique de la manière suivante :
« Chers amis, bien que la nature des hommes de ce monde soit pure en son essence dès l’origine, chacun a en lui dix mille choses. Si les gens ne pensent qu’à des choses mauvaises, alors ils exercent le mal ; s’ils ne pensent qu’à des choses bonnes, alors ils exerceront le bien. Ainsi est-il clair que de cette façon tous les dharma [les aspects de l’humanité] existent dans votre propre nature, et malgré cela votre propre nature est toujours pure. Le soleil et la lune ne cessent de briller, mais ils sont obscurcis au-dessous et l’on ne peut voir clairement le soleil, la lune, les étoiles et les planètes. Mais si le vent de la sagesse se met soudain à souffler et pousse au loin les nuages et les brumes, toutes les formes d l’univers apparaissent d’un coup … Que se dégage une seule pensée de bien, la sagesse intuititve naît. De même qu’une lampe permet de dissiper mille ans d’obscurité, un éclair de sagesse détruit dix mille ans d’ignorance. »
Selon Huineng, latente en nous, la condition de l’éveil existe, l’état qui précède notre rapport au bien et au mal. Elle peut être mise en valeur grâce à une connaissance intuitive de notre nature intérieure. Philip Yampolsky, l’érudit spécialiste de Huineng, résume bien cette idée : « Le sutra de l’Estrade maintient que la nature de l’homme est pure dès l’origine, mais que sa pureté n’a pas de forme. Par la pratique personnelle, en y mettant tous ses efforts, l’homme peut cependant parvenir à pénétrer dans cette pureté. Méditation, prajna, réalité vraie, nature originelle, nature personnelle, nature de Bouddha, tous ces termes, qui sont constamment utilisés tout au long du sermon, indiquent le même Absolu indéfini qui, lorsqu’il est vu et expérimenté par l’individu lui-même, constitue l’éveil. »
Cette condition d’innocence originelle qu’est l’éveil peut être mise en valeur grâce à la « non pensée », état dans laquelle l’esprit flotte, détaché de ce qu’il rencontre, évoluant librement à travers les phénomènes, aucunement ému par les incursions et les attractions du monde ; libéré parce qu’il est son propre maître, paisible par ce qu’il est pur. C’est la condition dans laquelle nous sommes nés, et c’est la condition à laquelle nous pouvons retourner en pratiquant la « non-pensée ». Même s’il arrive qu’elle soit semblable à la condition qui peut être réalisées à travers la méditation laorieuses ; apparemment Huineng ne pensait pas que la méditation fut indispensable. Cette condition primale de l’esprit, cette vision momentanée de notre nature originelle, pourrait être réalisée instantanément si notre esprit était réceptif. Mais quel est l’état appelé « non-pensée » ? Pour Huineng :
« Etre sans souillure quel que soit l’environnement, c’est cela qu’on appelle non-pensée. Si, vous appuyant sur vos propres pensées, vous vous séparez du milieu environnant, alors vous ne produisez aucune pensée vis-à-vis des choses. Si vous cessez de penser à la myriade des choses et si vous vous dépouillez de toute pensée, à l’instant où le fil des pensées est coupé, vous renaîtrez dans un autre royaume… Parce que l’homme dans son illusion a des pensées reliées au monde qui l’entoure, de ces pensées s’élèvent les idées hétérodoxes qui produisent passion et fausses visions. »
Yampolski caractérise ainsi la « non-pensée » :
« On conçoit que les pensées avancent en progression du passé vers le présent puis le futur en une chaîne sans fin de pensées successives. L’attachement à un instant de pensée conduit à un attachement à une succession, c’est-à-dire la servitude. En éliminant l’attachement à un instant de pensée, on peut, par un processus inexpliqué, éliminer l’attachement à une succession de pensées et atteindre de cette façon la non-pensée qui est l’état d’éveil. »
La manière d’atteindre cette condition de l’éveil « non-pensée » n’est pas expliquée avec précision dans le sutra de l’Estrade et c’est ce qui a été en fait le souci principal du Zen depuis lors. La seule chose sur laquelle tous s’accorderont est que plus on essaie d’atteindre cette condition, plus cela est difficile. L’éveil est à l’intérieur de nous, attendant d’être libéré, mais seul l’esprit intuitif peut nous permettre de l’atteindre. Et cela arrive soudain, au moment où nous nous y attendons le moins.
Le maître Huineng demeure comme la ligne de faîte de l’histoire du Zen. Il se peut en effet qu’il soit la ligne de faîte sous la forme incarnée d’une légende. Il y a quelque raison de suspecter qu’il fut canonisé après sa mort, comme ce fut le cas de Bodhidharma. Mais alors que Bodhidharma fournissait une ancre pour la formation originelle d’une secte séparée de dhyâna dans le bouddhisme chinois, Huineng devint le symbole autour duquel se ralliait un nouveau type de Chan, un Chan intégralement chinois, un Chan qui semblait faire peu de cas de ce qui constituait la base du vieil enseignement de Bodhidharma, la méditation. Il devint la réponse chinoise à l’Indien Bodhidharma.
Huineng a redéfini les caractéristiques propres à l’objectif du Chan et a décrit dans des termes non théologiques l’état d’esprit dans lequel toute dualité est bannie. Mais il échoua à faire le pas suivant et à expliquer comme y parvenir. Tout ce qu’il a fait a été de mettre en évidence que non seulement la méditation n’était pas une condition suffisante, mais qu’en outre il se pourrait bien qu’elle ne fut même pas nécessaire. Qu’est alors qui est indispensable ? C’est au cours de la phase suivante du Chan, appelée l’Age d’Or du Zen, que la réponse à cette question allait émerger peu à peu, quand apparut cette nouvelle école du Chan « subit » dans le Sud qui finit par dominer tout le Chan. Il semble que ces nouveaux maîtres aient accepté Huineng comme leur patron, bien que la connexion directe ne soit pas clairement établie. Ces maîtres apprirent comment imposer un cadre filtrant sur l’esprit logique, lui infligeant de telles humiliations qu’il finit par annihiler l’ego ou le soi pour s’abandonner à prajna, la sagesse intuitive. Ils inventèrent des moyens systématiques pour produire l’état de « non-pensée » que Huineng et Shenhui se contentaient apparemment d’invoquer.